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La notion de forme dans les arts par Bernard Sève

Les formes artistiques sont-elles des formules illustrables?

Dans l'auditorium à l'ambiance feutrée de l'université de Lille (Sciences et technologies) n'a résonné que la voix du philosophe. Elle était immatérielle et physiquement présente à la fois, et soudain sa forme a semblé changer.

Mardi 7 novembre, Citéphilo a accueilli Bernard Sève, professeur émérite de philosophie de l'art et de l'esthétique de l'université de Lille (sciences humaines et sociales). Auteur de l'Instrument de musique: une étude philosophique (2013), il est responsable de la revue  annuelle à caractère scientifique « Methodos ». Le philosophe a tenu une conférence au sujet de la notion de forme dans les arts, dans laquelle il a détaillé le caractère polysémique des formes, et leurs différents domaines d'applications. Celles-ci étant multiples, le spécialiste de la philosophie des arts musicaux a décidé de concentrer son exposé autour de trois types d'arts ; les arts plastiques, la poésie, et surtout la musique.

La forme représente aussi l'unité. La conférence traite donc des variations des formes dans le temps et l'espace. En retraçant  l'Histoire des arts et l'Histoire de la philosophie, d'Homère à Kant, en passant par Raphaël et Beethoven, Bernard Sève nous fait donc découvrir la notion de forme et ses différents aspects.

 

Qu'est-ce que la forme artistique?

Imaginez  alors Diotime, une pianiste en quête de sa plus grande œuvre, un sextuor à cordes. Son art ne repose pas sur la technique. Non, comme  Kant elle aime et cherche la beauté, mais pas n'importe laquelle, une beauté adhérente, conditionnée à une fin, autrement dit utile, mais aussi libre, c'est-à-dire qui existe par elle-même, définit sans concept de l'objet qu'elle représente. Mais jusqu'où va cette liberté? Elle résulte d'un compromis entre ces deux concepts. Son sextuor, elle doit pouvoir le jouer au piano comme un orchestre pourrait le faire retentir dans la fosse.


Des formes  en  perpétuel mouvement

Cela n'a rien d'une illustration. Diotime écrit, mais lorsqu'elle dessine les notes elle ne ressent rien. Elle recherche ce qui peut charmer l'oreille d'un mélomane, comme celle d'un néophyte. Elle veut la symétrie, la régularité et surtout l'harmonie. Elle veut posséder le Beau et l'exprimer.

Elle désire enchanter le monde, voir son sextuor devenir un poème vivant, une sculpture, un véritable mouvement. L'harmonie doit être un geste artistique, à la fois mobile et changeant. Elle a peur de la mort. Pas la sienne, mais celle de l'harmonie, son œuvre, son précieux sextuor. Pour cela l'œuvre d'art doit être « l'articulation entre l'entendement et l'imagination », pour Kant comme pour elle.

Les formes musicales ne sont pas parfaitement illustrables

Par son écoute aguerrie du quatorzième quatuor à cordes de Beethoven, elle comprend  qu'elle doit rechercher la polyphonie, et pas nécessairement la perfection. Elle doit construire son œuvre, son histoire, délimiter un espace, pas le sien mais celui du spectateur co-auteur.

Elle n'est pas pressée.  Diotime sait que son œuvre ne dépend que des contraintes qu'elle s'oblige à suivre. Mais ce sont des faux obstacles. La vraie difficulté consiste à rendre son sextuor polymorphe. Il n'est pas une forme véritable, ça c'est bon pour les platoniciens. Diotime veut autre chose c'est certain. Demain son sextuor sera détesté, dans 10 ans adulé, ou peut-être oublié, mais pour mieux renaître et prendre une nouvelle forme. Toute grande forme artistique doit donc passer par un changement des formes qui la compose.