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Spinoza et la superstition par Ariel Suhamy

L'agent  infectieux et parasitaire de la raison.

Et si  l'équipe d'Apollo 13 avait été
superstitieuse? Le chiffre 13 aurait pu être la cause de  leur malheur dans l'espace. La NASA aurait-elle
du passer directement à la mission 14? Ce sont ces  » délires » que
nous propose de remettre en cause Spinoza, et Ariel Suhamy, directeur de la
collection La vie des idées, maître de conférence au collège de France à
Paris, s'est chargé de nous expliquer cette pensée complexe.

Le philosophe, auteur
de  Spinoza : La communication du Bien,
et Spinoza par les bêtes,  était
invité, dans le cadre de Citéphilo, à s'exprimer autour du thème de la
croyance, samedi 11 Novembre, dans l'auditorium du Palais des Beaux-arts de
Lille. Ariel Suhamy s'est tout d'abord attaché à montrer, par l'intermédiaire
de Spinoza, le caractère obscurantiste de la superstition, tout en la  distinguant de la foi,  et de la raison. Mais Spinoza est aussi un
auteur terriblement actuel, capable de questionner la place de l'homme dans la
nature, ce qui peut amener à une lecture écologiste de son œuvre.

Le
chiffre 13 est le terreau de l'ignorance et un poison pour la raison.

Les logiciens et les
mathématiciens n'y voient qu'un chiffre, mais les superstitieux imaginent toute
sorte d'histoires. Ils sont fascinés par la multitude des significations
possibles. Ils vont donc entièrement se soumettre à leurs affects, soit la
tristesse, la joie, et le désir. Les affects sont certes les causes qui nous
déterminent, mais il faut les comprendre 
pour pouvoir agir et devenir soi-même sa propre cause. Il ne faut pas seulement
subir ses affects, en être  l'objet, il
faut aussi en devenir l'acteur. »La plupart, à ce que je vois, s'ignorent
eux-mêmes » dira Spinoza, autrement dit, il y a une disposition naturelle à
la superstition qui rend la raison perméable.

Un
chiffre divin?

Pas de vendredi  13 et  pas de lien entre superstition et foi chez
Spinoza. La foi limite  ses objets de
croyances : on obéit  moralement à Dieu
et on pratique la charité. Avec le chiffre 13, on peut orienter son objet de
désir n'importe où. La superstition est donc un outil du pouvoir religieux pour
faire peur à la population. Les ignorants craignent le chiffre 13 et se
soumettent au pouvoir en place par peur du châtiment. Pourtant, l'existence de
Dieu est démontrable par la géométrie, car 
il est un objet de connaissance de la nature. Mais la superstition  ne fait que se nourrir du culte pour prétendre
être cet objet de façon parfaitement naïve. 

L'homme
est-il toujours maître et possesseur de la nature?

Cette question cartésienne
a été balayée par le réchauffement climatique et bien avant par Spinoza, et montre
que l'homme n'est plus un empire dans un empire. Ce préjugé finaliste  nous vient d'Aristote  et sous-entend la verticalité du monde. Ainsi,
il devient facile dans cette configuration de désigner une cause finale, à
savoir Dieu dans les trois religions monothéistes.  Ce Dieu n'est que superstition. Celle-ci est
une réduction à l'ignorance car elle exclut les causes efficientes (les
affects), pour ne garder que la cause finale (Dieu). L'histoire du  chiffre 13 est donc un pastiche de la raison,
un mimétisme qui recherche désespérément le pourquoi
 
sans jamais s'intéresser au comment
.

Justinien Druet