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Les fondements sociaux de l'action économique, cours de Bourdieu au Collège de France, 1992-1993

Entre théâtre et sociologie, les Fondements sociaux de l’action
économique

 

Le livre édité par Patrick Champagne et Julien Duval, deux sociologues,
fait partie d’un recueil d’œuvres qui retranscrivent les cours de Pierre
Bourdieu lorsqu’il enseignait au Collège de France de 1982 à 2001. Un travail
laborieux en annotations mais aussi en interprétations car pendant ses cours,
Bourdieu ne faisait que continuer de réfléchir à voix haute.

 

La Révolution symbolique, le passage au donnant-donnant

Mauss parlait de la révolution
symbolique comme de la « révolution véritable, grande et vénérable ».
On associe à cette notion abstraite, une explication bien plus concrète :
le passage d’une société de don contre don à celle du « donnant-donnant ».
Pour comprendre le don contre don, Bourdieu s’appuie sur l’analyse de Jacques
Derrida. Derrida pousse le don à son extrême. Un don ne pourrait être remboursé,
et celui qui reçoit ce don ne devrait même pas en avoir conscience sinon cela deviendrait
une reconnaissance de dette.

L’analyse de Lévi-Strauss, selon
laquelle il faudrait donc prendre l’échange comme unité et non plus le don, est
alors réfutée par Bourdieu. Il ajoute à la logique de l’anthropologue la
dimension du temps. Si beaucoup de temps s’écoule entre le don et le contre
don, alors don initial s’oublie et le contre don devient efficace.

Le passage à une société où le
donnant-donnant domine peut être résumé par l’expression business is business. Les mentalités changent et le travail n’est
plus considéré comme une obligation envers le groupe auquel on appartient, mais
comme un moyen pour obtenir un salaire. Bourdieu s’appuie sur ce qu’il a
observé en Algérie auprès des paysans, lors de l’arrivée du capitalisme. Même
s’il admet que la tradition du don est toujours présente dans des îlots
restreints comme la famille ou des univers sociaux particuliers tels qu’une
fête au village.

 

« Le donnant-donnant peut être résumé par business is
business »

 

L’approche théorique en termes
d’économie

Bourdieu
oppose une anthropologie économique avec des concepts qui ont fait le succès de
ses théories : l’habitus, le champ et le capital. Ces trois notions
permettraient d’appréhender toutes les sociétés. En effet, tous les individus
sont sociabilisés (habitus) et dans toutes sociétés, des biens ou des savoirs
ont de la valeur (capital).

Il existe
deux façons de présenter le champ économique de Bourdieu. Souvent différents
champs tels que artistique ou juridique sont mentionnés mais jamais cette
notion n’a été étendue à l’économie. Pour lui, l’économie ce sont davantage des
firmes en concurrence avec d’autres firmes que le rapport des producteurs aux
consommateurs, chaque firme développant son propre.

D’autre
part, il réfléchit à la notion de marché qui est utilisée dans le vocabulaire
courant. Les économistes utilisent ce terme mais il est difficile de le
définir. Le marché représente des choses très différentes : aussi bien des
mécanismes économiques, qu’un lieu géographique. Bourdieu pense que souvent les
agents opèrent un court-circuit et emploient ce terme à mauvais escient.
Bourdieu produit une réflexion critique sur la notion de marché et l’oppose à
la notion de champ. Il insiste sur le fait que l’offre créée par la production
d’une firme est moins déterminée par la demande des consommateurs que par ce
que crée la firme pour se démarquer de ses concurrents.

 

Une
conférence en demi-teinte

Pour toute personne non initiée avec Bourdieu, il n’était
pas évident de comprendre les théories exposées. Pourtant le théâtre de la
Verrière affichait complet ce lundi 13 novembre. Le texte de Bourdieu s’adresse
davantage à des personnes averties mais il a été rendu plus accessible grâce à
la mise en voix de certains textes  par
Dominique Sarrazin, directeur du Théâtre de la Verrière et excellent comédien.

 

Agathe Fourcade et
Charlotte Sebire