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Dire la France,Culture(s) et identités nationales par Vincent Martigny


 

Devant l’avalanche de discours
sur la question de l’identité nationale, face à la surreprésentation de ce
thème sur la scène politico-médiatique, entrainant clivages et divisions au
sein de la société, plusieurs questions se posent : nous sommes-nous déjà
demandé quels en étaient les fondements et depuis quand était-il devenu un
élément de débat à ce point central ? Vincent Martigny, maître de conférences
en science politique à l’École Polytechnique, a souhaité, à travers son ouvrage
Dire la France, Culture(s) et identités nationales (1981-1995), lever le
voile sur une question dérangeante, à savoir l’origine de l’utilisation
politique de la notion d’identité nationale.

 

« Nous sommes entrés,
depuis une dizaine d’années, dans l’ère de l’identité. »

 

L’imaginaire collectif attribue
l’émergence de ce sujet à la présidence de Nicolas Sarkozy, lorsqu’a été créé
en 2007 le ministère qui lui est associé. En réalité, s’il ne faut retenir
qu’une chose de la conférence de Vincent Martigny, c’est que la notion
d’identité française est le fruit d’une politique culturelle menée par la
gauche, qui l’a conceptualisée en 1981
. C’est là que les termes
« culture » et « identité nationale », d’ordinaire
contre-intuitifs, se rejoignent.

Alors que jusqu’aux années 1970
la culture faisait référence aux Beaux arts, les socialistes en transforment le
sens pour en faire la définition du socle de l’identité française. La
gauche possède alors l’exclusivité de cette thématique et la place au centre de
sa campagne en vue de la présidentielle de 1981. Une fois au pouvoir, le Parti
socialiste (PS) l’érige en tant que véritable force de gouvernement. Plusieurs
événements expliquent l’émergence de cette thématique identitaire au sein du
champ politique ; notamment la détonation que provoque Mai 68 en ouvrant, comme
on le dit dans le jargon de la science politique, une « fenêtre
d’opportunité politique ». Pour la gauche, c’est l’occasion d’exposer les
cultures minoritaires, régionales et immigrées comme centre d’intérêt
prioritaire et donc de s’attirer une diversité d’électorats. Pour bien
comprendre que la notion d’identité nationale revêt à ce moment une tout autre
forme que celle que nous connaissons actuellement, Vincent Martigny parle pour
le PS de « conquête du pouvoir comme d’un va-et-vient culturel ».
Tout en souhaitant rester fidèle à l’histoire française, elle prône l’image
d’une nation « mosaïque » et accueillante. Une nouvelle définition de
la culture naît alors : c’est la manière pour la gauche de « dire la
France ».

 

Cette politique du « droit
à la différence » réveille bientôt l’échiquier politique et des « questions
politiquement inflammables »
, comme les qualifie Vincent Martigny, les
mêmes qui étoffent les Unes de l’actualité aujourd’hui. Les acteurs politiques
de droite et d’extrême-droite s’emparent du thème à leur tour, en redessinant
les contours de la définition de culture. Elle sous-entend désormais un mode de
vie, qui serait unique, et que toute personne vivant en France devrait
intégrer. Un basculement s’opère alors de la question « Qu’est-ce qui fait
de nous des Français ? » vers « Qui est Français ? », de la
conception DES cultureS françaiseS vers LA culture française.

Depuis les années 1990, la
combinaison de la notion d’identité à celles de frontières et d’immigration est
largement hégémonique et ce sont sur ces éléments, devenus des instruments de
stratégie de campagne présidentielle, que Sarkozy a été élu en 2007.

 

À présent, les débats se
cristallisent autour de notions aussi floues que celle de « valeurs
républicaines » ou encore de communautarisme. Vincent Martigny n’oublie
pas de rappeler que ce dernier terme, connoté péjorativement, est dérivé de la
notion de communauté qui, dans les années 1970, était positive.

La solution se cache peut-être
en notre capacité d’apprendre à vivre avec les différences de chacun,
d’accepter les communautés tant que celles-ci respectent les conditions
essentielles de la démocratie.

 

Cette conclusion de Vincent
Martigny m’évoque une définition d’André Malraux que je m’efforce de garder en
mémoire : celle de la nation comme « une communauté de rêves ». De
là, la quête insatiable d’une identité nationale cessera, et peut-être
renoncerons-nous à nous diviser.

 

 

Léa Ilardo