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Jean-François Millet sous l'oeil de Terrence Malick par Élise Domenach et Régis Cotentin

 

Vendredi
soir dernier, dans le cadre de Citéphilo et en lien avec l'exposition « 
Millet
USA » qui se tient aux Beaux Arts de Lille depuis le 13 octobre, le
film «
 Les moissons du ciel » de Terrence Malick a été
projeté. Ce réalisateur discret mais majeur du cinéma américain s'est en effet
considérablement inspiré de l’œuvre du peintre Jean-François Millet. Ces
rapports très forts entre un
American dream grignoté par la Grande
Dépression des années 30, les questions existentialistes soulevées par
l'empreinte si singulière de Malick et l'universalité des peintures de
Millet… Élise Domenach et Régis Cotentin nous les ont expliqués, après 1h35
passées à contempler un soleil se couchant d'une beauté captivante sur les
champs de blés, et sur le désarroi des hommes.

 

L'exposition
nous apprend que toutes les scènes du film Les Moissons du ciel ont été
réalisées à « l'heure bleue ». Cet instant d'une lumière si
particulière, est chéri par le réalisateur du film, comme il le fut par Millet
un siècle plus tôt. Le mystère qui teinte cette poétique appellation nous
donnerait presque envie d'en rester là, mais voici tout de même un indice :
Millet estimait que la fin du jour est un instant qui représente une épreuve
pour un tableau. Il explique que la lumière n'y est pas assez forte pour
distinguer les détails, et qu'il représente ainsi « le moment le plus
favorable pour juger de l'effet global d'un tableau
 ». Vous y êtes,
« l'heure bleue » désigne bien ce moment où les couleurs chaudes, du
soleil déclinant, illuminent les dos courbés des travailleurs, et accompagnent
la caresse du vent sur les champs de blés au milieu desquels ils s'essoufflent.
Les êtres y sont surpris dans leurs reflets les plus intimes. Une scène portée
sur la toile par une grande partie des peintures de Millet, puis retranscrite
plus tard, sur grand écran, par la caméra de Malick.

 

L'influence
de Millet sur les plans du réalisateur est donc indéniable, mais ce dernier
n'est pas le seul à avoir été inspiré par le pinceau de l’artiste. Son impact a
en effet été essentiel dans la représentation des grands mythes américains, et
surtout de leur déconstruction, par nombre des as de l'image. On peut alors
citer d'autres peintres tels que Hooper, ou des photographes comme Lewis Hine,
ainsi que des cinéastes allant de John Ford à Gus Van Sant, tout en passant par
Christopher Nolan. Les références ici faites par Malick à ces artistes qui ont
voulu, comme lui, documenter le réel mais aussi le contempler, sont
innombrables. Alors que Millet capturait un moment éphémère à l'ambiance
pourtant intemporelle pour le figer sur sa toile, Malick choisit d'y porter un
regard « en mouvement », sa signature. Ce grand adepte de la
steadicam (système portatif qui stabilise de la caméra lors des prises de vues)
se balade à travers ces champs de blé, en sublimant à sa manière le rapport
tragique des hommes avec la Nature. S'ils en sont dépendants, la Nature, elle,
continue son cours et reste indifférente au pathétique et périssable destin des
êtres.

 

Les
deux intervenants, passionnés et passionnants, nous expliquent
alors que ces artistes du visuel ont su rendre hommage aux « laissés pour compte
» du rêve américain. Ils donnent un visage à ces individus toujours en
mouvement qui ont repoussé les frontières et finalement construit les
fondements des États-Unis d'aujourd'hui. Le travail de Millet a donc traversé
le temps et un océan pour influencer des générations d'artistes américains
désireux de mettre en lumière un pan majeur de leur histoire. Et l'on se
rappelle donc, avec amusement, qu'il n'est pourtant jamais
allé aux États-Unis. Encore un exemple de l'intemporalité et de l'universalité
de cette thématique, et de l'interdépendance qu'entretiennent les Arts entre
eux.