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Le jazz : où sont les femmes? par Michele Hendricks et Patrice Blanc-Francard

A
l’extérieur du Conservatoire de Lille, le froid est glacial. Les passionnés de
jazz s’y sont réfugiés, car la musique et surtout le jazz, réchauffent. Ce
soir, ils sont là pour comprendre la place et le rôle qu’ont eu les femmes dans
cette musique grâce à deux invités d’honneur : Michele Hendricks, chanteuse de
jazz américaine et Patrice Blanc-Francard, journaliste musical et auteur du Dictionnaire
amoureux du jazz

 

 

« On
écoute un morceau et on ne peut pas dire qui l’a composé. On n’a même pas
envie de se poser la question. »

 

Patrice
Blanc-Francard, pour qui le jazz coule dans les veines, résume ainsi la magie
de la musique en général. « Je ne veux pas mettre de guerre des sexes sur
la musique », explique-t-il. Pour lui, il n’y a pas de tonalité féminine
et c’est tant mieux, ce qui compte c’est l’histoire qui est racontée, peu
importe le sexe du conteur.

 

Reste
que la part des hommes dans le jazz est bien plus importante que celle des
femmes, c’est un fait. Les hommes jouent aussi plus d’instruments différents
alors que l’on a souvent tendance à assimiler musicienne de jazz et chanteuse.

Herbie
Hancock, Count Basie au piano, Charlie Parker ou John Coltrane au saxophone,
Charles Mingus à la contrebasse, Kenny Clarke à la batterie, Miles Davis ou Louis Armstrong à la trompette,    autant de jazzmen connus pour des
instruments très    variés. Alors que le
blues, matrice du jazz, a été lancé surtout par des chanteuses dont Mamie Smith
avec son 78 tours « Crazy Blues » vendu à plus d’un million
d’exemplaires. Puis Bessie Smith, « L’Impératrice du Blues », qui a
inspiré les chanteuses de jazz Billie Holiday, Sarah Vaughan, Nina Simone, et
tant d’autres.

 

« Pendant
des décennies, les femmes se déguisaient en homme pour jouer du piano. »

 

Michele
Hendricks, forcément, a aussi trouvé dans ces femmes une source d’inspiration
infinie. Elle a d’ailleurs consacré un album à Ella Fitzgerald, A Little bit
of Ella
. Michele est la fille de Jon Hendricks, un des célèbres chanteurs
de « Watermelon Man » et qui a historiquement marqué l’histoire du
jazz en inventant le style vocalese. Elle se souvient avec émotion des
moments passés sur scène avec son père : « Ce n’était pas juste deux
personnes qui chantaient ensemble mais un père avec sa fille. C’était
absolument magique. »

Elle
reconnaît que le monde du jazz est marqué par la masculinité et que les femmes
ont eu du mal à y faire leur place : « Pendant des décennies, les femmes
se déguisaient en homme pour jouer du piano sur scène », raconte-t-elle.
Personnellement, elle n’a jamais souffert de cela : « J’étais la
chanteuse, j’étais le leader. ». Être autodidacte l’a davantage fait
souffrir car elle ne savait pas traduire les accords en partition
: « Je  devais tout chanter,
c’était ridicule », sourit-elle en roulant les « r » à
l’américaine. Concilier sa vie de musicienne et sa vie de famille, c’est cela
qui est dur, « quasi impossible » pour Michele qui a du arrêter quand
elle a eu ses enfants.

 

« Il
y a eu peu de femmes, mais elles ont été si importantes »

 

Le
journaliste, passionné de jazz, raconte l’importance extrême qu’a eu Lil Hardin
Armstrong dans la carrière de son mari. Lil, était à la fois une pianiste et
une épouse exceptionnelle. Elle a aidé son mari a surmonté son manque cruel de
confiance en lui, comme lorsqu’elle a fait inscrire sur la façade du Dreamland
Café à Chicago : « Louis Armstrong, le meilleur trompettiste du
monde. »

 

Michele
qui a insisté tout le long de la conférence sur l’importance de l’improvisation
dans le jazz nous a réservé une fabuleuse démonstration… De quoi finir en
beauté !