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Plaidoyer pour une décroissance touristique par Rodolphe Christin

« Nous
n’avions pas ce genre de discussion il y a dix ans. Cela ne fait que
quelques années que le tourisme peut être interrogé. » Invité à la médiathèque
de La Madeleine samedi 9 novembre, Rodolphe Christin, docteur en sociologie
spécialiste du tourisme, revient sur la réédition de son « Manuel de
l’anti-tourisme » (Ed. Ecosociété), dans une masterclass animée par
l’anthropologue Jacques Lemière. Publié en 2008, puis réédité en 2018, le livre
dresse un portrait amer du tourisme de masse et de son impact, tant sur
l’environnement que sur la manière de vivre des populations.

« Je suis un désenchanté de l’économie du tourisme. »

Habitant
depuis toujours les alpes françaises – hier le massif de la Chartreuse,
aujourd’hui la ville de Grenoble –, Rodolphe Christin est rapidement
confronté à la question de « l’hypertourisme ». Il assiste ainsi, en
personne, à la soudaine prise d’intérêt des voyageurs pour le Cirque de
Saint-Même, un éco-système alpin jusqu’alors synonyme d’évasion dans l’esprit
du sociologue. Inévitablement apparaissent les conflits d’usage, entre
touristes et agriculteurs, ainsi que des problèmes de pollution et de
fréquentation. Si la mairie de
Saint Pierre d’Entremont a aujourd’hui pris en main l’aménagement du
Cirque, Rodolphe Christin comprend dès lors que le tourisme pose de multiples
questions, à une époque où il demeure encore consensuel et n’est quasiment pas
débattu. Christin voyage, découvre les pays de l’est, et finit par présenter
une thèse de doctorat sur « l’imaginaire du voyage ». Après avoir encadré
ce qu’il qualifie aujourd’hui, non sans sarcasme, de « voyages
d’aventure » dans le Sahara libyen, il plaisante sur sa personne :
« Je crois que vous l’aurez remarqué, je suis un désenchanté de l’économie
du tourisme ».

« Je plaide pour une décroissance touristique, un désaménagement
du monde. »

Selon
Christin c’est la révolution industrielle, et avec elle l’amélioration des
moyens de transport, qui commence de transformer le voyageur en touriste. Ce
sera ensuite aux années 30, qui permettent au travailleur de prendre des
vacances, d’achever le développement le secteur. Le tourisme se présente alors
encore comme une recherche de diversité, d’ouverture sur le monde, que les
intérêts économiques ne tarderont pas à chambouler. Au point qu’aujourd’hui, Rodolphe
Christin pose une question : la recherche du divertissement n’a-t-elle pas
dépassé celle de la diversité ? Il est en tous cas formel : les retombées économiques
liées au tourisme profitent à un petit nombre, ceux qui sont
en mesure d’investir et de disposer de capitaux. Nombreux sont les travailleurs
précaires au sein du secteur, qu’ils soient saisonniers ou mal payés. Le
tourisme ne bénéficie d’ailleurs pas à tous, et chacun ne peut en profiter
puisque les départs en vacances restent l’apanage des pays développés.

Sans
oublier que pour Christin, la question environnementale a aussi son importance.
Considérant le secteur touristique comme représentatif de ce qu’est
l’anthropocène (une nouvelle ère géologique suscitée par l’Homme), il déclare
plaider pour une « décroissance touristique, un ‘désaménagement’ du
monde ».

« Il y a une
esthétique dans le fait d’aller loin, alors même que ça n’est pas nécessaire
pour vivre des choses remarquables, qui peut être remise en question. 
»