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Biodiversité : vrais problèmes et idées fausses par Alain Pavé

La biodiversité occupe une place considérable dans l'espace médiatique. Pour le spécialiste des modèles mathématiques du vivant Alain Pavé cependant, la notion n’est pas toujours comprise et les raisonnements qui la mobilisent sont souvent bancals. C'est donc pour répondre à un certain sentiment d’inconfort qu’il écrit Comprendre la biodiversité (Seuil, 2019).



« Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde », insère le spécialiste des modèles mathématiques Alain Pavé à une de ses diapositives. Biodiversité : le terme voit le jour en 1985. Mais l’effort de classification et de dénombrement du vivant ne date pas d’hier. Dès l'Antiquité, les philosophes ont ce projet de catalogue du monde naturel. Jusqu’à la taxonomie moderne de Linné, au milieu du 18e siècle, c’est une vision stable et hiérarchisée de ce monde qui domine. Les espèces, notamment, sont réputées être des objets naturels que l’on peut découvrir et détailler de façon exhaustive, précise et définitive. Elles sont appréhendées, selon la logique essentialiste des idées platoniciennes, comme des unités réelles et fixes.


Mais de plus en plus s’impose le constat que « ce qui est invariant, ce sont les variations ». L’histoire du vivant est celle de processus dynamiques et aléatoires. Exit l’idéal créationniste, l’imaginaire d’une Nature organisée selon un plan divin. Le hasard joue un rôle essentiel dans la vie et si classification ordonnée il y a, elle n’a de sens qu’en tant que résultat de liens de parenté contingents entre organismes. Si nous avons cette impression de fixisme, c’est que notre vie s’étale sur une échelle de temps très courte : les différences et variations entre individus de même espèce nous paraissent alors superficielles, accidentelles et donc compatibles avec les idées d'essence, de nature des choses. L’échelle temporelle du million d'années quant à elle, est certes plus difficile à appréhender mais davantage à même d’expliquer l’organisation du monde vivant. Un paradigme évolutionniste du vivant, dynamique, aléatoire et historique, va ainsi culminer au milieu du 19e siècle, avec Charles Darwin. Il continue d’infuser la science d’aujourd’hui.


Étudier la biodiversité, c’est d’abord la mesurer. Mais que mesure-t-on, exactement ? L'unité de comptage la plus courante est, encore une fois, l'espèce. Une des méthodes les plus utilisés consiste à extrapoler les connaissances obtenues par échantillonnage – en comptant le nombre d'espèces différentes présentes dans une zone donnée. On mobilise alors des modèles mathématiques tels que la courbe aire-espèces. Des photos prises depuis l’espace peuvent également être utilisées. Elles sont particulièrement utiles pour rendre compte de la répartition végétale à la surface du globe. Ne considérer que la diversité spécifique est toutefois très réducteur. La biodiversité s’étudie à bien d’autres niveaux d’organisation du vivant, des gènes aux écosystèmes en passant par les cellules, les organismes, les populations, les communautés. 


Quand certains ne se laissent pas compter…

Il arrive que des difficultés inédites compliquent les tentatives de mesure de la biodiversité. Les calmars, par exemple, ont longtemps été réputés rares dans le sud de l'océan Indien. Les pêcheurs et bateaux océanographiques n'en récoltaient pas dans leurs filets. Pourtant, l’observation du bol alimentaire de manchots vivant dans la zone révélaient leur présence certaine. Finalement, il s’est avéré que si les calmars sont si durs à compter, ce n’est pas en raison de leur rareté mais de leur caractère craintif. Face aux matériel de pêche, ces animaux mettaient en place des stratégies d'évitement élaborées !


Initialement cantonné à l'écologie scientifique, le concept de biodiversité trouve rapidement son autonomie hors de la science. En investissant les usages courants et la sphère médiatique, il se fragilise. Une compréhension naïve de la notion d’habitat ou d’espèce invasive autorise par exemple des prédictions catastrophistes qui, la plupart du temps, ne se réalisent pas. Plutôt que l’empressement, Alain Pavé encourage les discours précis et nuancés qui ne cèdent pas à l’immédiateté. Il déplore notamment la déformation des propos scientifiques par les journalistes. C’est que sciences et médias ne partagent pas toujours les mêmes motivations : le sensationnel et le terrorisant sont souvent plus vendeurs que ce que la science est capable de fournir… Alain Pavé insiste : les questions cruciales liées à la biodiversité méritent un traitement rigoureux, indispensable à la tenue de débats démocratiques éclairés. « La question de la biodiversité est suffisamment compliquée pour qu'on ne la traite pas n'importe comment. »