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La laïcité, une exception française ? par Philippe Raynaud

Philippe Raynaud, politologue français de renom, s’est entretenu mardi 19 novembre à Sciences Po sur son essai La laïcité, histoire d’une singularité française,
dans le cadre de Citéphilo. Sorti en 2019, l’ouvrage détaille la genèse du
sécularisme à la française et défend sa singularité. Compte-rendu.

Dès sa première intervention, P. Raynaud bat en brèche les idées
reçues : la laïcité française ne naît pas de l’idée d’une séparation de
l’Eglise et de l’Etat ! Elle provient de l’impératif de tolérance
religieuse dans le contexte conflictuel de la Réforme protestante. Ainsi se
constitue un modèle de tolérance français représenté par l’Edit de Nantes. Il stipule
qu’on peut être un bon sujet sans être catholique, et va pour la première fois
introduire l’idée d’un Etat rationnel porteur de liberté religieuse.

Vient la Révolution. Un nouveau régime est mis en place, le concordat – toujours
en vigueur en Alsace-Moselle. Il est fondé sur un accord entre religions et
République, où les cultes reconnus par la République sont financés par l’Etat. Puis
la Restauration (1815-1830) réinstaure le catholicisme « religion de
l’Etat » et non plus « religion de la majorité du peuple
français », ce que les catholiques vont utiliser pour tenter de faire
interdire le blasphème et le financement des autres cultes. C’est donc
logiquement que la IIIème République (1870-1940), anticléricale car née dans
l’opposition à la royauté, va violemment s’opposer à l’Eglise catholique.

La lutte entre Républicains – notamment libéraux – et catholiques aboutit à
la fameuse loi de 1905 entérinant la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Considérée comme une grande réussite de la république parlementaire, cette loi
a été longuement discutée afin de trouver un compromis entre les deux camps. L’Eglise
catholique n’est pas atteinte dans son fonctionnement, mais elle n’aura plus qu’un
pouvoir spirituel. En posant comme principe la liberté de croire et de ne pas
croire, la laïcité française dépasse le simple cadre de liberté religieuse, ce
qui fait sa singularité.

Philippe Raynaud développe ensuite plus rapidement d’autres thèmes présents
dans son livre comme la catholaïcité, concept présentant la laïcité française
comme imprégnée de catholicisme et le favorisant de fait. Le politologue l’explique
par les fondements communs entre morales chrétienne et laïque.

Enfin, le contexte religieux a changé depuis 1905. Alors que la religion cesse
d’être une pratique organisatrice de la société, la laïcité rencontre de
nouveaux problèmes, notamment avec l’islam. Ces obstacles sont liés à la
manière dont notre laïcité s’est historiquement forgée face à une Eglise
catholique très hiérarchisée. L’organisation du culte et certaines traditions
de l’Islam – par exemple le voile – constituent donc des défis pour elle. Le
politologue ne développera malheureusement pas plus les défis de la laïcité
aujourd’hui ou l’actualité à la lumière de son expertise, laissant le champ
libre à la réflexion.