Publié le

La puissance de la parole à l’heure où tout s’accélère – Pierre Delion

Invité de la leçon inaugurale de Citéphilo, le professeur en
pédopsychiatrie Pierre Delion s’est entretenu avec le docteur en philosophie
Jean-François Rey au sujet de l’éducation, plus précisément sur le rôle crucial
de la parole. Une conférence à retrouver sur le site de Citéphilo et sur
YouTube.

Zoom, Google Meets, Discord… Les confinements ont vu
se développer les réunions de travail virtuelles. Une nouvelle avancée du
numérique dans un monde où tout va à cent à l’heure. Mais qu’en pense la
psychiatrie ?

Pierre Delion parle du virtuel comme de « l’évitement
majeur de la rencontre avec autrui
», et d’une opposition entre parole et
communication. Si la communication peut s’exercer sans parole via un écran, la
parole se doit d’être incarnée, présentielle. Le virtuel permet ainsi la
communication mais également de cliquer sur la croix rouge « Fermer ». Ce
fonctionnement sur le principe plaisir/déplaisir
tel que décrit par Freud s’éloigne de la réalité où
il est plus
difficile de se soustraire à une rencontre. Ensuite, libre à nous d’élucubrer,
entre les quatre murs de notre chambre, dans ce que Delion nomme notre « toute-puissance
infantile
», ce sentiment de grandeur de l’enfant qui découvre ses
potentialités. Des compétences que le parent doit faire découvrir à l’enfant en
lui parlant, mais qu’il doit également restreindre. A ce propos, Delion évoque
le modèle de la « mère adéquate sans plus » de Donald Winnicott (The good
enough mother
, 1953). Les parents, non-idéaux et donc limités, doivent
développer un cadre limitant et sécurisant pour que l’enfant éprouve sa liberté
en respectant celle des autres. Un cadre primordial pour s’adapter au passage à
l’école.

L’importance de « l’expérience partagée »
par la parole

L’école est elle-même essentielle
dans la formation de l’enfant. Delion insiste sur ce point : il faut des
institutions pour conduire un enfant sur le chemin de la vie. Il parle d’un « travail
civilisateur » de l’école qui prend le relai des parents dans la transmission
de clés de compréhension du monde. A l’heure du tout-numérique, Delion déplore
toutefois que les parents préfèrent les écrans pour occuper leurs enfants
plutôt qu’être auprès d’eux. Ce manque de cadre limitant peut causer certains
troubles chez les enfants tels que l’inhibition, ou l’hyperactivité. Troubles
qui s’expliquent par le manque de dialogue, problème que Delion retrouve
également dans le « new management » des établissements
psychiatriques.
Dans ces structures, les soignants ont de moins en
moins de temps pour discuter avec les patients, pour « l'expérience
partagée ». Delion évoque donc une déshumanisation de ces services.
Pourtant, la parole est absolument fondamentale dans la psychiatrie de peur de
tomber dans une « psychiatrie vétérinaire ».

La parole est donc essentielle pour Pierre Delion : « Notre
responsabilité c’est, rencontrant le visage en souffrance de l’autre, de lui
adresser des paroles pour qu’il se sente accepté, accueilli, admis dans la
communauté des êtres paroliers
».