Jacques Rancière : Quel est notre présent ?
Samedi 13 novembre 2021, Léon Wisznia, co-fondateur de Citéphilo, animait une conférence en présence de Jacques Rancière, philosophe et invité d’honneur et d’Etienne Balibar, professeur émérite de l’Université de Paris Ouest Nanterre. Les deux philosophes se prêtaient au jeu du dialogue, articulé autour d’une question : Quel est notre présent ?
Philosopher le présent
Une coprésence de plusieurs temporalités en conflit, développant une raison qui est prise de vertige. Voilà un bien bel exemple de ce qu’est notre présent. Entre un passé idéalisé et un futur préempté par les collapsologues, notre présent semble profondément désorienté. Rancière et Balibar questionnent donc le rôle de la philosophie pour analyser ce présent en se focalisant sur le thème de la politique.
Trois thèses de Rancière se détachent. D’abord, l’idée d’un partage du sensible qui met en avant un certain « déplacement », à savoir ce qui permet aujourd’hui de rendre l’invisible visible. Ensuite, la notion de démocratie ancrée dans notre société qui n’est pas, selon Rancière, un régime politique en soi. Il existe plutôt des « moments démocratiques ». En découle enfin une réflexion sur la politique en elle-même. « En politique, quoi qu’en disent les gens graves, il n’y a que des présents. » cite Rancière. Quand y a-t-il donc de la politique ? Les deux auteurs sont d’accord pour dire que le moteur de la politique de notre présent est le conflit : des existences qui sont incompatibles entre elles. Il reste tout de même à savoir si cette politique est essentiellement du côté de ceux qui s’insurgent ou plutôt dans le conflit elle-même ?
Un détour chez les Grecs
Rancière prône une double dimension actuelle du temps, un temps qui s’écoule et un autre plutôt vertical, celui du partage du sensible qui rappelle la célèbre phrase de Platon : « les artisans n’ont pas le temps de faire autre chose que leur travail parce que le travail n’attend pas ». Il pense un temps présent qui est divisé de l’intérieur et reprend la pensée aristotélicienne de La Poétique selon laquelle il y a deux formes de déroulement du temps : un temps historien où les choses arrivent les unes après les autres et un temps qui est celui du récit articulé dans lequel les éléments arrivent en fonction d’un mouvement cosmologique.
Faire face à la crise et la catastrophe
Le temps présent, c’est aussi celui de la crise (pandémie) et de la catastrophe. Rancière et Balibar font appel au rôle de l’Etat et au critère de subjectivité. Qui va agir en temps d’urgence ? Quel type de subjectivité est produite par la pensée de la catastrophe ? Pour eux, il paraît crucial de vouloir dénouer et dissoudre le nœud qui se fait autour du concept de crise résultant du fait que certaines contradictions soient incontrôlables, de même qu’il est essentiel de lutter contre un Etat qui a pour fonction de détruire le « commun ». La solution n’est pas la révolution mais des objectifs de démocratisation urgents.