Rencontre avec une transfuge de classe féministe par Rose-Marie Lagrave
Invitée par Citéphilo le 10 novembre, la sociologue Rose-Marie Lagrave a discuté, avec la politiste Sandrine Lévêque, de son dernier ouvrage. Celui-ci présente la particularité de constituer une autobiographie d’une transfuge de classe, féministe, issue d’un milieu rural et d’une famille nombreuse, fortement imprégnée par la religion catholique.
« Enquête autobiographique d’une transfuge de classe féministe »
L’ouvrage de Rose-Marie Lagrave n’est pas une autobiographie comme toutes les autres. L’auteure a en effet cherché à éviter de succomber à « l’illusion biographique » (pour reprendre le titre du fameux article de Pierre Bourdieu), et aux réflexes narcissiques. Pour cela, elle a écrit une enquête autobiographique qui s’appuie sur des données empiriques (archives familiales, données statistiques…) et des méthodes sociologiques. Le résultat est une œuvre qui éclaire à la fois les déterminismes sociaux et l’histoire personnelle de l’auteur.
« Il n’y a pas d’ascenseur social, j’ai toujours pris l’escalier de service. »
En analysant son histoire, Rose-Marie Lagrave souligne qu’il ne s’agit pas d’une trajectoire linéaire. Au contraire, sa « migration de classe » s’est faite par des ascensions, mais aussi par des descentes et des difficultés : la concurrence des « héritiers », les violences symboliques subies, son sentiment permanent d’illégitimité – même une fois admise à l’École des Hautes Études. Pour Lagrave, sa réussite est d’abord collective et non pas individuelle. C’est une question de rencontres et non pas seulement d’efforts. Elle rend aussi hommage à l’État providence sans lequel sa trajectoire n’aurait pas été possible.
« La seule chose qu’on avait pour s’en sortir, c’était le système scolaire. »
Le système scolaire a permis son ascension sociale. Néanmoins, Rose-Marie Lagrave souligne que l’école n’est pas la seule façon de réussir sa vie et elle se souvient de tous ceux qu’elle a laissés derrière elle et qui y sont toujours : les enfants qui n’avaient pas la chance d’être sélectionnés et qui n’ont pas profité de bourses et d’autres aides de l’État.
« Je ne veux pas servir à ça. »
Au moment où la médiatisation des transfuges de classe pourrait faire croire qu’il n’y a pas de reproduction sociale, Rose-Marie Lagrave souligne le caractère trompeur du récit de la méritocratie. Son histoire n’est pas une preuve que tout le monde peut vivre la même trajectoire car elle reste une exception et les déterminismes sociaux demeurent très puissants.
« Je suis trop émue par ce que vous dites. »
Au cours de cette rencontre, on a pu observer un échange plein d’émotions entre l’auteure et le public. Rose-Marie Lagrave a réussi à toucher chaque personne dans la salle : ses mots ont été une source d’inspiration et de motivation – notamment pour des jeunes transfuges de classe étudiantes. Les réactions et les questions du public lui-même étaient pleines d’expériences personnelles émouvantes. Ainsi, il s’est créé ce mercredi soir un moment spécial de partage et de rencontre.