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Produire la guerre, produire le genre. Des Françaises au travail dans l’Allemagne nazie (1940-1945)

Dans le cadre de Citéphilo Camille
Fauroux, a présenté son livre inspiré de sa thèse, Produire la guerre, produire
le genre
à la médiathèque Jean Levy, le vendredi 19 novembre 2021. La
discussion était animée par l’historienne Catherine Lacour-Astor, spécialiste
des femmes résistantes.

Point de méthode
et de terminologie

Tout d’abord, pour les femmes
françaises parties travailler en Allemagne, l’auteure préfère la qualification
de « françaises au travail » à la qualification française officielle
de « travailleuses volontaires » ou allemande de « travailleuses
forcées », afin de montrer une réalité nuancée et complexe. En ce qui
concerne la méthode, l’auteure a décidé de faire une histoire quantitative en
procédant à l’étude de mille dossiers, dans le but d’établir le portrait de ce
groupe de femmes. Elle a complété ce dernier en étudiant les archives de Vichy
et de plusieurs entreprises collaborationnistes pour découvrir la trajectoire
de ces femmes. C’est donc un mélange de micro et macro-histoire qui a été
réalisé, avec toujours la volonté de décloisonner la « vie privée »
et la « vie publique » des femmes qu’elle étudiait dans le but de comprendre
pleinement leur parcours. Plus globalement, l’auteure plaide pour une meilleure
prise en compte des femmes à travers l’histoire au prisme de
l’intersectionnalité.

Les raisons d’un
départ : une tentative d’émancipation face au droit vichyste

Camille Fauroux explique les
motivations des femmes françaises qui ont décidé de partir en Allemagne. Ces
départs peuvent paraître surprenants dans la mesure où les femmes françaises ne
sont pas soumises au Service de Travail Obligatoire, elles partent donc
« volontairement ». L’auteure démontre que ces départs ne sont pas
motivés par une accointance idéologique avec le nazisme. Les raisons sont avant
tout d’ordre économique, dans une France soumise aux restrictions, et d’ordre
familial. En effet, pour beaucoup de femmes, le départ en Allemagne nazie est l’occasion
de fuir une situation familiale compliquée – le divorce ou « l’abandon de
foyer » étant interdits sous Vichy – et l’autorité patriarcale – un mari
ou un père pour des mineures. Ces départs échappent à tout contrôle de la
France de Vichy. Pour certaines femmes encore, ces départs sont l’occasion de
tenter de retrouver un mari prisonnier de guerre.

La vie à Berlin,
entre contrôle total et brefs moments de liberté

A Berlin, la situation est complètement
différente de ce qui était promis aux femmes françaises. Tout d’abord, les espoirs
de retrouver un mari prisonnier de guerre sont souvent déçus. Ensuite, les
conditions de travail – principalement dans des usines d’armement – sont très
compliquées avec un rythme de travail intense. Leurs jours comme leurs nuits sont
contrôlés dans le but d’éviter d’éventuelles grossesses dans la ville censée
symboliser la pureté du Reich. De même, les contrats sont automatiquement
reconduits, jusqu’à « la fin de la guerre », sans le consentement des
principales intéressées. Cependant, l’historienne a trouvé la trace de brefs
moments de liberté à travers les archives, notamment via la participation de
certaines femmes à des bals. Des actions de rébellion et des tentatives de
désertion de ces femmes ont été aussi remarquées, toutes fortement réprimées
par les autorités ou les entreprises elles-mêmes.

Le retour en
France des « travailleuses civiles »

A la fin de la guerre, toutes les
femmes civiles retournent en France. A leur retour, elles sont directement
catégorisées comme « collaboratrices » par le reste de la population.
Dans la logique de l’épuration, ces femmes sont considérées comme ayant trahi
leur pays de deux manières : nationalement, en ayant travaillé dans des
usines d’armement pour l’Allemagne, et sexuellement, en ayant eu des rapports avec
des hommes allemands. L’auteure montre que cette manière de voir les femmes,
non pas comme des sujets politiques, mais comme des objets sexuels et
matrimoniaux, a contraint ces dernières à taire leur vécu. Aujourd’hui encore,
ce vécu semble être source de honte, puisque l’auteure indique n’avoir pu réaliser
que trois entretiens avec ces « femmes au travail ».