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Surveiller et vendre par Christophe Masutti

Ce
lundi 22 novembre à l’auditorium des Beaux-Arts de Lille, le
philosophe et historien des sciences Christophe Masutti présentait
son ouvrage « 
Affaires
privées : Aux sources du capitalisme de surveillance » ;
en
compagnie de Bertrand Bocquet, physicien et professeur à
l’université de Lille. 

Le
capitalisme de surveillance

   
Tout d’abord
Christophe Masutti s’est attelé à contextualiser l’émergence
du « capitalisme de surveillance », puis à le définir.
Il faut remonter à la Renaissance pour s’apercevoir des premiers
échanges de listes d’information, entre le France et l’Italie
notamment. Ce phénomène s’est étendu au numérique avec
l’émergence dans les années 60 et 70 de « sociétés de
courtage de données ». Par ailleurs, Christophe Masutti
définit le capitalisme comme un système économique et social qui
se caractérise par la propriété privée des moyens de production
et d’échanges par la recherche de profit. La surveillance découle
de cet « appétit marketing » et a pour finalité
d’influencer le comportement des consommateurs. Dans le cas des
données numériques, Christophe Masutti observe une décomposition
du réel dans le but de le transplanter au « monde
calculatoire ». On peut alors prendre  l’exemple d’une
voiture de location. L’automobiliste, contraint à respecter un
nombre restreint de kilomètres, se verra sanctionné s’il le
dépasse. Le concessionnaire en sera informé grâce aux données
fournies par le système informatique de la voiture. Par ailleurs,
nous sommes désormais capables en recensant les comportements des
individus, de s’adresser à une partie de la population qui est
définie comme propice à l’information que l’on veut
transmettre. Cette définition de l’influence laisse entrevoir la
possibilité d’établir un marché de l’influence. L’auteur
parle d’un «  tri social » qui enfermerait les
individus dans des « bulles de marchandisation ». La
question qui se pose est : Où placer le curseur de cette
surveillance en quête de marchandisation ? Selon Christophe
Masutti, et l’association Framasoft dont il est membre,  « les
limites sont franchies depuis longtemps ».  

L’instrumentalisation
de la surveillance en politique

   
La surveillance n’est
pas utilisée seulement dans un but commercial mais aussi dans le
monde politique. En effet, impressionnés par la « prédiction »
de la victoire de Dwight D.Eisenhower par l’ordinateur Univac en
1952, les démocrates vont chercher à étudier la congruence des
discours politiques sur le vote par des algorithmes. Pour cela, ces
derniers vont s’appuyer sur l’exploitation de données récoltées
par l’entreprise Simulmatics et faire élire J.F Kennedy à la
primaire. Le projet est alors intitulé « projet Macroscope ».
Il s’appuie sur des enquêtes d’opinion et des études
d’élections passées pour cibler les différents « segments »
de la population américaine en âge de voter. C’est tout l’enjeu
politique de la société Claritas. Elle s’appuie sur son système
Nielsen Prizm. qui catalogue les américains en plusieurs groupes
égaux avec des caractéristiques et des nécessités semblables. De
façon plus contemporaine, on peut citer l’entreprise Cambridge
Analytica qui s’est inspirée de ce modèle pour influencer
l’élection de Donald Trump en 2016.

Pour
clore la conférence, Christophe Masutti prend pour exemple l’ouvrage
Les
Furtifs
d’Alain
Damasio
.
L’historien
se demande si on ne serait pas déjà immergé dans un univers
dans lequel chaque individu est déclaré libre mais tracé en
permanence.