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Gisèle Sapiro : « Peut-on dissocier l'œuvre de l’auteur ? »

Le débat sur la dissociation entre œuvre et auteur refait surface depuis quelques années. L’auteure Gisèle Sapiro, directrice de recherche au CNRS, était présente ce lundi 15 novembre à Sciences Po Lille, en compagnie de Cédric Passard, maître de conférence en science politique, pour retracer le sujet au-delà des polémiques.

L’auteur et son œuvre

Au XVIIIème siècle émerge la notion de propriété littéraire. Elle identifie l’auteur d’une œuvre par un nom propre utilisé comme un référentiel rigide qui décrit une personne. Il peut renvoyer à un corpus d'œuvres comme Flaubert avec Madame Bovary et l’Éducation Sentimentale. Si cette étiquette montre la cohérence d’un projet créatif, elle définit un périmètre incomplet dont les frontières sont brouillées. Ce débat concerne Céline avec son Voyage au bout de la Nuit auquel on ne peut pas associer ses pamphlets pour le tort qu’ils apportent à son œuvre. L’auteur peut aussi changer de style, ce qui rend difficile la délimitation d’une unité. Emil Nolde a adapté son style et changé ses thèmes pour plaire au régime nazi.

L’écriture de soi et la fiction

Identifier l’auteur d’une œuvre trouve ses limites dans la démarcation entre les récits d’écriture de soi et la fiction, qui peut être un moyen de contourner la censure. Une identification plus ou moins difficile selon le genre utilisé. Or, même dans les récits d’écriture sur soi, le « je » peut être fictionnel, une posture qu’adopte Houellebecq. Face aux polémiques, des auteurs plaident pour la fiction. C’est le cas du rappeur Orelsan qui prend la figure d’un homme ivre dans une de ses chansons, utilisant des propos incitant à la violence envers les femmes et prohibés dans l’espace public. Souvent, les auteurs d'œuvres répréhensibles sont jugés sur le rapport de leur passé avec leur création. Les actes de Polanski sont reliés indirectement à son œuvre tandis que les livres de Matzneff révélaient ses abus sexuels. Les polémiques mènent à une réévaluation des auteurs contemporains et remettent en question leur consécration comme le César remis à Polanski.

Au-delà de l’œuvre

Si l'œuvre dépasse l’auteur dans le processus de création et dans la réception, il est difficile de les dissocier sur un plan sociologique. Le débat qui semble binaire entre les esthètes qui défendent cette dissociation et les moralistes qui la condamnent n’est pas à résoudre. L’important est de préciser les postures de l’auteur dans l’élaboration de son œuvre pour mieux la comprendre. En explicitant la violence symbolique qui peut en découler, informer permet de préserver les sensibilités. La critique doit permettre de reconnaître les actes préjudiciables pour mieux les comprendre. Gisèle Sapiro souligne que juger du lien entre l’auteur et son œuvre se fait au cas par cas. Les intermédiaires culturels et les institutions ont cependant la responsabilité de diffuser les œuvres et d’y faire attention.