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Danielle Tartakowsky : « Nous sommes entrés dans un état d’urgence quasi permanent ».

Il pleut à petites gouttes en ce dimanche de décembre. A l’invitation de la Ligue des Droits de l’Homme, on se réchauffe volontiers dans l’amphi de l’ESJ. Nous y attend déjà Danielle Tartakowsky, historienne spécialiste des mouvements sociaux, venue présenter son dernier livre On est là ! La manif en crise. Souriante, parfois acerbe, elle déroule une leçon sur l’histoire de la manifestation en France sous le prisme sécuritaire, seule obsession des politiques. Si la manifestation est une liberté fondamentale pour l’ONU et la CEDH, devoir autant le rappeler, c’est signe qu’elle est bafouée à répétition.

La manifestation comme « référendum d’initiative populaire »

En bonne historienne, Danielle Tartakowsky a préparé son plan en trois parties. Elle s’attarde d’abord à construire la manifestation comme objet des politiques. Dans les lois de la IIIème République, la manifestation est considérée avant tout comme un risque d’atteinte à la tranquillité. Progressivement, le droit va se saisir de la manifestation par la question du maintien de l’ordre. Au début du XXème siècle, les politiques français sont traumatisés par la violente répression des manifestations du 1er mai 1891 de Fourmies par les militaires. Ces soldats de conscription sont de plus trop proches de ceux qu’ils sont censés encadrer. La France devient alors le premier pays à se doter d’une force spécialisée du maintien de l’ordre, les gendarmes mobiles. La manifestation s’institutionnalise alors progressivement, lavée de plus de toute prétention révolutionnaire. Elle devient un espace de négociation, un moyen de gérer les crises dans l’espace démocratique.
Le détricotage de l’Etat Social depuis les années 1970 donne d’ailleurs lieu à une série de manifestations, toutes glorieuses, pour défendre les acquis sociaux, mais aussi les valeurs traditionnelles, comme les manifestations contre la loi Savary. Quand les gouvernements successifs tentent de durcir les lois pour contenir les protestations, le Conseil Constitutionnel les retoque à plusieurs reprises, au nom de la liberté d’expression. Sans la nommer, c’est la liberté de manifester qui entre furtivement dans le giron du droit. Il faut la protéger contre toute tentative de la réduire.

Manifester aujourd’hui, une pratique à risques

« D’un modèle, la France est devenue le mauvais élève de l’Europe », nous résume l’historienne. Après les attentats du 11 septembre 2001, les gouvernements successifs ont corrélé lutte anti-terroriste et diminution des libertés. Pour Jean-Pierre Raffarin, Manuel Valls ou encore Gerald Darmanin, ce n’est pas la rue qui gouverne, la manifestation ne devrait pas participer à l’élaboration des lois. La doctrine du maintien de l’ordre passe progressivement de la mise à distance à une doctrine du corps-à-corps. Une police non spécialisée dans le maintien de l’ordre, la BAC, supplante la police de proximité. Cette force d’intervention se dote alors de nouveaux outils de force intermédiaire (Flash-Ball, LBD, taser). La France se retourne vers une culture militaire, où le danger et les missions de la police sont redéfinis. Il faut alors interpeller, contenir les manifestations, et tout risque d’atteinte à la tranquillité, plus seulement dans la rue, mais aussi dans les banlieues. Cette « guerre d’usure » engendre une escalade, les manifestants traditionnels se confondent de plus en plus avec des éléments violents, échauffés par l’attirail répressif policier. On n’y emmène plus ses enfants. Malgré les tentatives de manifester autrement, par Nuit Debout, les ZAD, les Gilets Jaunes, l’appareil répressif français engage systématiquement le rapport de force. Quel avenir, alors, pour la manifestation ?

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