Des Gamins contre Staline : un régime face aux dissidences

Jean-Jacques Marie nous a donné rendez-vous à l’IEP de Lille. Au côté d’Etienne Peyrat, maître de conférences en Histoire contemporaine, l’auteur de l’ouvrage Des gamins contre Staline tente de nous éclairer sur l’Histoire de la dissidence en URSS. En oscillant entre anecdotes personnelles et rapports officiels, il révèle les fragilités d’un régime politique méfiant envers sa population.

L’histoire de gamins contestataires

Jean-Jacques Marie a commencé sa conférence comme on plonge dans son livre. Il raconte l’histoire d’une vingtaine de tracts distribués en 1944 par six gamins âgés de 11 à 13 ans : « Anéantissez la bête sauvage Hitler et ensuite renversez Staline ! ». Seulement 25 bouts de papier… Cela n’a pas empêché le NKVD, police d’État sous Staline, d’arrêter ces militants d’un nouvel ordre. Pourquoi un tel empressement face à une menace enfantine ?

Pour l’auteur, cet acte n’est pas anodin et s’inscrit dans la politique du stalinisme. Embrigadement de la jeunesse dès l’âge de 6 ans, mise en place de la peine de mort en 1935 pour « éduquer » les enfants de plus de 12 ans : tout n’est que continuité. Paradoxe, il semblerait que ces mesures coercitives poussent les jeunes dans la dissidence.

Une opposition plus répandue qu’on ne le croit

Introduction faite, Jean-Jacques Marie débouche sur un nouveau constat : l’embrigadement de la jeunesse n’est pas une fin en soi. Elle permet également de contrôler la population dans sa globalité. L’enfant est dénonciateur de ses parents : il doit prêcher la parole vraie et conforme aux valeurs du régime à l’image de Pavel Morozov qui, selon la légende, aurait dénoncé son père Koulak.

L’importance de ces mesures coercitives est révélatrice de cette « peur panique » de Staline à l’égard de « son propre peuple » qui, paradoxalement, contribue à l’émergence de contestations. Il suffit à l’auteur de nous raconter ses discussions avec des enseignants et élèves d’universités russes pour comprendre que l’opposition au régime est omniprésente bien que muette. Ce « bouillonnement d’en bas » contribuera au soulèvement des années 1950.

Un difficile accès aux sources

Ce récit, qui s’ajoute aux rares sources sur l’URSS, fut compliqué à assembler. Confronté aux rapports officiels transformés en « romans-feuilletons » et aux témoignages de rescapés, Jean-Jacques Marie dû d’abord juger de la fiabilité de ses sources.

Il mentionne aussi les problèmes de transparence des archives. Bien que l’ONG Memorial tentait de les rendre accessibles à tous, sa dissolution en décembre 2021 par la justice russe représente une perte colossale pour l’auteur : « Vladimir Poutine a une formation de policier et sait à quel point les informations sont importantes ».

L’enchaînement de ses anecdotes personnelles finit par montrer qu’il « ne faut pas la passer sous silence [la dissidence] car ce serait passer sous silence une partie de la réalité du pays ». Un roman novateur qui met au jour les pratiques d’un régime craintif et voué à sa perte.

Marius Caillaud, Martin Kretowicz