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Catherine Malabou : « L’anarchisme, c’est laisser s’exprimer notre part de non-gouvernable »

Ce lundi soir, Catherine Malabou était l’invitée de CitéPhilo. Pour son troisième passage dans le festival, la philosophe venait discuter de son dernier livre : Au voleurs ! Anarchisme et philosophie, une tentative de comprendre le refus de plusieurs philosophes de se diriger sur le chemin de l’anarchisme.

L’anarchisme a été perçu comme une « pensée naïve et peu viable » déclare Catherine Malabou D’après Aristote et ses travaux désignant le gouvernement comme forme naturelle d’organisation (arkhè), l’anarchisme symbolise le désordre à éviter. Le premier à réellement critiquer le gouvernement comme forme innée d’organisation et à repenser l’anarchie est Proudhon, d’autres suivrons. Si beaucoup de philosophes sont prêt à se dire marxiste, très peu oserait dire qu’ils sont anarchistes. Or, la pensée anarchiste infuse la philosophie moderne et contemporaine. De Derrida à Rancière en passant par Foucault tous les penseurs cités par Catherine Malabou critique la domination exercée par le gouvernement et l’injustice que cela implique, mais aucun ne va jusqu’à l’anarchisme. « Il y a un vol de ces penseurs aux anarchistes mais sans le dire » conclut Catherine Malabou dont le but du livre serait « d’expliquer cette inhibition et cette frontière auquel sont confrontés les anarchistes ».

Le non gouvernable

L’anarchisme serait le non gouvernable qui se distingue de l’ingouvernable selon la philosophe. Il y aurait donc chez tous les individus « une part d’ingouvernable » qui suppose une forme de résistance au système gouvernemental mais dans une négociation avec ce système. A contrario le non gouvernable ne fait pas partie du système, ce serait cette part d’animalité, non contrôlée, présente dans le vivant. Chacun aurait donc une « part anarchiste ».  Le « non-gouvernable » suppose une sorte de « pulsion anarchiste » comme l’énonce Nathalie Salsman, citée par Catherine Malabou. Cette pulsion à l’instar de la pulsion de mort décrite par Primo Levi donne la force aux individus de « sortir de l’enfer ».

Ubérisation

Selon Catherine Malabou le capitalisme et Internet ont anticipé les désirs d’autonomisation des individus et donnerait l’illusion d’une résistance aux gouvernements. En effet, Internet qui avait l’ambition d’être un espace d’horizontalité incarne une forme de non gouvernable, donnant l’illusion que les individus ont une liberté totale d’action. Ces derniers peuvent par exemple gérer leur santé grâce au numérique ou leur achat par le biais du paradis des GAFA, sans aucun gouvernement. Cette ubérisation de la société se donne les apparats d’un anarchisme factice, mais conserve largement une domination de l’entreprise sur l’individu.

La philosophe conclut finalement cette rencontre par une question qui aurait pu l’introduire :  mais pourquoi vouloir se passer d’un gouvernement ? Pour remplacer un système qui institutionnalise la domination entre les individus et qui refuse de fait toute égalité.

Yousra Larbi-Alami et Marius Joly