Qui est Chantal Jaquet ?

Portrait d’une philosophe paradoxalement générale et spécialiste

Le 11 Novembre n’est pas un jour férié pour Citéphilo, bien au contraire. C’est une date importante qui ouvre un cycle de quatre conférences, en présence de Chantal Jaquet, invitée d’honneur de la 26 ème édition. Accompagnée de Francis Wolff, elle est venue présenter son parcours intellectuel et philosophique. Pendant deux heures, les philosophes ont échangé questions et objections, sous le regard attentif d’un public, curieux de philosopher

Chantal Jaquet est une philosophe connue pour ses travaux sur Spinoza, le corps et l’odorat. Elle est notamment à l’origine du concept de transclasse, thème non abordé pendant cette conférence.

Dialogues croisés entre philosophes

Nos deux philosophes partagent beaucoup de points communs. Chantal Jaquet a le goût d’une philosophie générale, qui pense à partir de concepts plutôt que d’auteurs, ce qui n’est pas commun.

Pour Chantal Jaquet, un philosophe forge de nouveaux concepts, en étudiant l’histoire de la philosophie. Si les accords sont nombreux lors de l’échange, il arrive que Francis Wolff se montre plus dubitatif. Un moment, il explique que, face à un verre d’alcool, je suis dans une situation de nécessité libre, car j’ai mes raisons de ne pas le boire, mais que ma nécessité devient contrainte, car mon désir d’alcoolique me détermine à consommer l’alcool. Chantal Jaquet opte pour un autre point de vue, nous expliquant qu’ici, ce désir est contraire à la raison. Elle retourne le problème avec la définition de Spinoza « le désir pour persévérer à l’être rapporté au corps et à l’esprit ». Ainsi, si je résiste à boire, ce qui résiste c’est le désir de persévérer dans mon être.

« La philosophie est faite de rencontres »

Notre philosophe, spinoziste convaincue, est ressortie inspirée de sa rencontre avec Spinoza, penseur majeur de l’histoire philosophique.

La colonne vertébrale de son système repose sur la puissance d’agir dans un cadre déterminé. Le corps est soumis à ses lois et nécessités corporelles, qu’il convient de comprendre pour philosopher. Ces contraintes, parfois extérieures, exigent de considérer le champ des possibles.

Cette notion résonne avec le parcours de Chantal Jaquet. Quand Francis Wolff la questionne sur la puissance d’agir, notre philosophe réponds que celle-ci peut être renforcée par les rencontres. Bien plus tard, elle mentionnera une rencontre avec une étudiante japonaise, qui aboutira sur la voie des fragrances, un art du parfum traditionnel japonais. Son cheminement intellectuel est jalonné de rencontres…

Redécouvrir son corps à travers l’espace et le temps

Pendant la discussion, Chantal Jaquet en est venue à renverser plusieurs perspectives sur nos corps.

Quand Francis Wolff fait les éloges du livre de Chantal Jaquet, Le corps (2001), particulièrement du chapitre sur le corps sexué, de l’ouvrage Le Corps, Chantal Jaquet explique que la pénétration n’est pas passive, elle suppose l’accueil et l’hospitalité. Un bref détour par l’histoire philosophique, montre que jusqu’au XVIIème siècle, pâtir est positif.

De même, très nombreux sont les philosophes à reléguer l’odorat au second plan. Chantal Jaquet, dans toute son originalité, fait de notre sens le plus animal, une philosophie de l’odorat, que l’Occident a longtemps ignoré. Au contraire, c’est au Japon qu’elle découvre que l’odorat est consacré sous forme esthétique. Par ailleurs elle adoptera une démarche bien plus anthropologique.

« Philosopher, c’est une trajectoire vers le plus lointain, pour produire de nouveaux objets. », voilà un beau résumé de la philosophie de Chantal Jaquet, pour reprendre ses propres mots. L’odorat vient achever son œuvre. Comment une chose invisible peut-elle être si forte ? La discussion fut bien riche, nul doute que les curieux présents auront le plaisir de prolonger la méditation une fois à la maison.

Amir Naroun, Sciences Po Lille