Comment penser la question transclasse

Ce monde premier que je quitterai et qui ne me quittera pas

Deuxième conférence autour de l’invitée d’honneur, Chantal Jaquet. Pour cette rencontre, le thème de transclasse, délaissé lors de la conférence précédente, est mis en avant pendant cette table ronde, ou trois philosophes et un sociologue discutent d’une notion bien à la mode Alors qu’une personne non initiée a plus de chance d’avoir entendu transfuge de classe, quel terme utiliser ?

Gérard Bras et Katia Genel sont agrégés de philosophie.

Pascal Pasquali est un sociologue spécialiste de la fabrique d’élite.

Une question axiologique

C’est la première chose que Chantal Jaquet dit dans sa conférence, son refus d’utiliser le terme de transfuge de classe qui cloisonne le sujet et n’évoque pas toutes les réalités sociales. Le transfuge présuppose l’idée d’une fuite, d’une trahison de son milieu social d’origine. Or c’est un jugement de valeurs qui ne corresponds pas à tous les cas de passage. Le transfuge de classe est très souvent accompagnée de sa valorisation automatique, d’une idéalisation de sa figure.

Le terme est très souvent récupéré, Chantal Jaquet se moque gentiment de ces figures : « C’est chic de dire que je suis transclasse dans un salon en disant que mon grand-père était maçon » Opposer moins que rien et transfuge glorieux masque ce qui se joue lors du passage d’un milieu à l’autre.

Quel mot utiliser ?

Sur ce sujet, Paul Pasquali parle de migrant de classe. Il revient sur l’expérience du voyage, déroutante lorsqu’on passe d’un milieu à un autre. Sa méthode rends compte de ces expériences vécues et des mots décrit par les intéressés eux-mêmes, en comparant le milieu social d’arrivé et de départ, car ce sont des espaces sociaux avec ses proximités et ses distances.

Pour Chantal Jaquet, le migrant de classe restitue mieux l’idée de passage, « immigré de l’intérieur » (Ernaux). Un petit bémol toutefois, ce concept perds la spécificité de l’objet transclasse avec le thème de migration. Elle reprends Spinoza en expliquant que l’hybridation est possible, pour décrire l’arrivée dans le milieu d’arrivée.

Et Bourdieu dans tout ça ?

Après tout, Bourdieu est lui-même un transclasse. Sans remettre en question la reproduction sociale, Chantal Jaquet offre un autre regard sur des parcours individuels et singuliers. Elle est navrée par les commentaires de Bourdieu dont la pensée est transformée en fatalité, alors qu’il s’est battu contre le déterminisme social. Comme le rappelle Paul Pasquali, Bourdieu a étudié peu de cas empiriques.

Gérard Bras partage ce constat et cite Annie Ernaux « l’ennemi s’empare et le détourne », en parlant du transclasse. Au contraire, il explique que Bourdieu rends service en rendant visible les mécanismes de la reproduction sociale. Dans un réflexe de philosophe, il lance une parabole au public : « mais depuis quand la vérité et la compréhension des choses rends pessimiste ? Mieux je comprends, mieux je peux agir. »

De nombreux sociologues, dont Bourdieu, sont des transclasses de la philosophie. L’ordre du jour était à la complémentarité et au dialogue interdisciplinaire.

Amir Naroun