Les séries : l’attachement au service de l’introspection

Mardi 15 novembre se tenait la conférence A l’école des séries pour Citéphilo. Pour l’occasion, Sandra Laugier, Thibault de Saint-Maurice et Xavier Leherpeur étaient réunis à l’ESJ Lille. Respectivement professeurs de philosophie et journaliste critique pour Xavier Leherpeur, ils ont débattu autour de l’enjeu affectif et de la valeur introspective des séries.

Qu’est-ce qui nous pousse, semaine après semaine à regarder et suivre une série télévisée ? Pourquoi la mort d’un personnage nous affecte tant ? La clef de notre attachement envers une série et ses personnages est directement liée à la notion de durée et de changement. Elle impose un engagement du téléspectateur dans le temps, saison après saison. Comme une forme de ritualisation. Le plaisir de la sérialité, à travers la possibilité de lier les changements entre différentes saisons, vient récompenser notre engagement sur le long terme et contribue à développer notre attachement à la série.

La manière dont les personnages évoluent moralement au fil des saisons, créer une certaine proximité avec le spectateur. Il prend plaisir à suivre la manière dont le personnage sombre ou monte en puissance. Dans Breaking Bad, le protagoniste Walter White passe alors du simple professeur de physique à un véritable baron de la drogue. Professeur, malade, alter ego, tueur, fugitif… On assiste aux variations de ce dernier, à travers l’évolution de sa personnalité. Une forme d’empathie ou d’antipathie avec une personne fictive se développe alors. Il est également question de notre propre évolution personnelle.

« La série nous fait considérer des personnages qu’on n’aurait pas eu envie de fréquenter dans la vraie vie »

Le ressort de notre attachement aux personnages n’est pas seulement un ressort d’identification. Il est par exemple complexe de s’identifier à un personnage noir, amoral tel que Dexter (psychopathe de la série éponyme). Pourtant, nous sommes capables de nous y attacher. Xavier Leherpeur journaliste critique dit à ce propos que « la série nous fait considérer des personnages qu’on n’aurait pas eu envie de fréquenter dans la vraie vie ». Cela s’explique par le fait que ces personnages nous permettent un travail d’enquête. L’une des principales fonctions des séries est en effet leur dimension cathartique.

En tant qu’animal symbolique, l’homme se sert des mythes, de la fiction pour se construire. Les personnages nous permettent donc de mener des enquêtes à propos de nous même. C’est la raison pour laquelle les séries sont souvent ce que l’on nomme des « séries chorales ». Chaque protagoniste est une dimension, une question à explorer. Plus les personnages sont nombreux, plus d’enquêtes sont menées. De plus, dans une série et contrairement au cinéma, les héros sont confrontés à pléthore de situations. Leurs comportements sont donc mis à l’épreuve, de même que leurs valeurs. Par leur intermédiaire, nous remettons aussi en question les nôtres. Ainsi, l’attachement aux personnages, qui se construit par un engrenage savamment étudié, permet à l’homme de se confronter à lui-même et d’évoluer. Comment le changement de notre personnalité, après plusieurs saisons, vient-il impacter la manière dont on regarde les séries ?

Adrien Leroux et Jade Esposito

16/11/2022