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Cris d’indignation, cris vivants

En songeant au cri dans les arts plastiques, comment ne pas penser au célèbre cri de Munch ? Un personnage qui crie, la bouche ouverte, dont on croit presque entendre la voix marquée par la douleur de l’autre côté du tableau. C’est avec cette image fortement réductrice des cris dans les arts plastiques que je me suis rendue à la conférence du philosophe Christian Ruby ce dimanche 6 novembre. Christian Ruby est l’auteur du livre Des cris dans les arts plastiques, de la Renaissance à nos jours, paru cette année à la lettre volée, et sur lequel portait la conférence. Après cette présentation, ma vision du cri dans les arts plastiques s’est élargie. Qui a dit que ce cri devait être bruyant ? Qu’il apparaissait explicitement sur le tableau ? Mais surtout, qui crie, et qu’est ce qui nous fait crier ?

Qui crie ?

                             Trouver qui crie mène à différents questionnements. La dimension genrée du cri apparait dans plusieurs tableaux, où celui-ci est associé à un cri aigu poussé par des femmes, là où l’homme utilise davantage la parole, écoutée et compréhensible. Dans L’enlèvement des Sabines de Nicolas Poussin, par exemple, la distribution genrée de la parole et du cri est nettement visible. Le cri, même s’il apparait dans de nombreuses œuvres, n’est par ailleurs pas toujours peint, sculpté, photographié, il peut être également un cri du spectateur devant une œuvre éveillant une émotion en lui.

Pourquoi crie-t-on ?

                       Pour ce qui est de ce qui fait crier un personnage ou bien un spectateur, les interprétations et raisons sont multiples. Est-ce une revendication politique, comme dans la peinture Grève au Creusot de Jules Adler ? Est-ce une pulsion suscitée par une émotion, comme dans la fresque La mort d’Adam de Piero della Francesca ? Ou bien un cri indigné du spectateur contre un photographe qui n’intervient pas, quand il voit la photographie de Ron Haviv sur laquelle des soldats maltraitent des civils ?

Un cri à caractère humain, ou du moins vivant

                      Le voyage d’œuvres en œuvres proposé par Christian Ruby explore l’art plastique de la Renaissance à l’époque contemporaine. Contrairement aux œuvres effectuées antérieurement, dans lesquelles le cri est associé à un caractère religieux, le cri endosse ici un caractère humain. Ce thème s’inscrit donc profondément dans l’intitulé du festival Citéphilo : « Nous vivants ». Du cri de terreur et de douleur des chevaux dans le bien célèbre Guernica de Pablo Picasso, au cri d’horreur du spectateur devant la douloureuse Fixation de Piotr Pavlenski, en passant par l’inscription « CRI » qui semble avoir comme écorché un pétale dans l’œuvre de Anne et Patrick Poirier, le cri n’est-il pas un aspect de ce qui fait de nous des « vivants », dotés de conscience, de sens  et d’émotion ? 

Doris Levasseur