« Finir sa vie ? » : vitalité du mourir et conditions d’une mort « humainement vivable »

Le philosophe Yves Cusset et l’infirmière en équipe mobile de soins palliatifs Laure Marmilloud étaient réuni.e.s ce jeudi à la médiathèque Jean Lévy autour de la question « Finir sa vie ? ». Une occasion de nourrir le débat à l’heure où s’ouvre la Convention citoyenne sur la fin de vie. 

Comment s’approprier la question du mourir, à un niveau tant individuel que collectif ? Peut-on créer les conditions d’une mort « humainement vivable » ? Comment appréhende-t-on sa propre mort ? Pour envisager ces questions, deux invité.e.s, et deux styles différents. D’un côté Yves Cusset, philosophe de formation, a ponctué un certain nombre de ses interventions par des références littéraires, invitant à réfléchir la mort comme « objet métaphysique ». De l’autre, Laure Marmilloud, si elle n’est pas étrangère à ces approches (elle est titulaire d’un master en philosophie), a davantage ancré son discours dans son expérience personnelle, intime, d’infirmière, relayant notamment les témoignages de nombreux patients qu’elle a accompagnés au cours de sa vie professionnelle. Comme elle le résumera, le débat était ainsi à la fois enrichi des « forces de la littérature » et des « forces de la parole ». 

Rendre la mort « humainement vivable » 

En France, la première unité de soins palliatifs a vu le jour en 1987. Quand on entre en soins palliatifs, « on entre dans un autre monde », disait un patient dont L. Marmilloud  rapporte les propos, soulignant la dimension pesante que peut revêtir le regard des autres.  

Y.Cusset a rappelé la distinction entre le mortel, qui peut penser à la mort, et le mourant, qui est saisi par la mort, et les angoisses qu’elle suppose. Que se passe-t-il quand ce basculement de mortel à mourant s’opère ? Le philosophe évoque Socrate, un « superhéros » puisqu’il fut en parfaite quiétude par rapport à sa propre mort. Mais nous ne sommes pas des superhéros, et l’infirmière complètera cette remarque par l’affirmation que « personne, au fond, ne croit à sa propre mort ». Nous avons donc besoin d’être rassuré.e.s, d’être accompagné.e.s dans ce moment que constitue la fin de vie. 

Les accompagnant.e.s font à la fois l’épreuve du tragique, mais aussi du vivant, car le mourir s’inscrit ici comme un moment de la vie. Si l’on affirme une vitalité de la mort, il est possible et même nécessaire de rendre celle-ci « humainement vivable ». Cela passe notamment par un développement des moyens financiers pour les hôpitaux. La question du mourir revêt donc selon L.Marmilloud un « devoir de société ».   

Euthanasie : une salle, deux ambiances 

Avant la conférence, chaque siège était jonché d’un tract de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, qui milite notamment pour le droit à l’euthanasie et au suicide assisté. Une position qui contraste avec celle de nos deux intervenant.e.s. L.Marmilloud a d’abord rappelé l’état actuel de la loi, qui permet en dernier recours la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Si elle n’est pas fermée à l’idée de dépénalisation, elle a exprimé une certaine gêne vis-à-vis d’une éventuelle légalisation de l’euthanasie, posant notamment la question du rôle des soignant.e.s dans ce processus. En s’appuyant sur son expérience, elle considère que cette demande répond davantage à un besoin pour les mortels de se rassurer, qu’à un véritable enjeu pour les mourants.  

Y.Cusset, quant à lui, se questionnait : « vouloir mourir peut-il être un vouloir positif ? », répondant immédiatement par la négative. Il existe pour l’écrivain un danger de faire du mourir un désir comme un autre dans notre société libérale. Le moment d’échange avec le public, composé pour partie de militant.e.s de l’ADMD, a mis en lumière les divisions sur cet épineux sujet que constitue l’euthanasie. L’occasion pour l’écrivain de conclure : « Avant d’aider à mourir, aidons à naître comme un moribond capable de rebond ».  

Sacha L.