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La valeur du footballeur : une construction historique

Dans le cadre de Cité Philo, le professeur de sociologie à l’Université de Lille Manuel Schotté est venu présenter ce mardi 7 novembre 2023 son dernier ouvrage, La valeur du footballeur, socio-histoire d’une production collective, paru en 2022 aux éditions du CNRS. Lors de cette conférence organisée à Sciences Po Lille et modérée par Nicolas Kaciaf, maitre de conférences en science politique au sein de l’école, l’auteur est revenu sur l’approche socio-historique qu’il a mobilisée dans son ouvrage pour comprendre pourquoi le footballeur bénéficie aujourd’hui d’une valeur aussi importante dans l’espace social. 

Le football comme objet de recherche : le défi de la légitimation

Pourquoi Kylian Mbappé, star française du football, est-il rémunéré 72 millions d’euros par an, alors que Nikola Karabatic, son homologue handballeur, ne perçoit « seulement » qu’1,8 millions ? Cette question soulevée par Manuel Schotté montre que la valeur des footballeurs n’a rien d’évident, et ne peut se limiter à la rétribution économique d’un talent sportif. En effet, il a observé que les footballeurs sont des salariés disposant d’un plus grand capital économique et symbolique que la plupart des PDG, alors qu’ils sont souvent issus de milieux populaires et de l’immigration, ne disposant de pas ou peu de diplômes. Il a par ailleurs évoqué la dimension genrée de cette valeur, puisque les femmes ne disposent pas des mêmes niveaux de salaires et de reconnaissance que leurs homologues masculins. On peut regretter cependant que ce sujet ait été rapidement expédié lors de la conférence.

Le football, la construction d’un système fédéral

 « Pour que les footballeurs soient valorisés, il faut que le foot existe ». Même si cette phrase parait triviale, elle renferme la clé de compréhension de l’ouvrage de Manuel Schotté. En effet, il rappelle que le football n’a pas toujours existé sous sa forme actuelle, c’est-à-dire un sport où les règles sont communes, organisé en championnats monopolisés par une poignée d’instances. En effet, l’organisation par un système fédéral au début du 20ème siècle a été déterminante, puisqu’elle permet de regrouper des compétitions sous un système hiérarchisé et par conséquent, de faciliter son relai dans la presse sous forme de feuilleton. Cependant, il ne faut pas oublier que le football est devenu le sport le plus populaire en France et en Europe qu’à partir des années 1970 – 1980. Si elle détient cette première place aujourd’hui, c’est le fait des présidents de clubs français, souvent des nouveaux riches, souhaitant convertir leur richesse économique en capital symbolique, afin d’accéder à la notabilité sociale. Pour cela, ils n’ont pas hésité à investir massivement dans le recrutement de grands joueurs, provoquant une surenchère de leurs salaires.

Une équipe, mais des valeurs marchandes différentes

Dans un système où le plafonnement des salaires est absent et la liberté contractuelle acquise, la concurrence entre clubs pousse les salaires et donc la valeur marchande des joueurs à la hausse. Cependant, Manuel Schotté souligne bien l’existence d’inégalités salariales et de reconnaissance entre les joueurs, qui s’explique par leur poste (un défenseur est moins valorisé qu’un attaquant) et leur « virtuosité balle au pied » (mesurée par les statistiques individuelles de buts et de passes décisives, relayées dans la presse). Ainsi, même s’il est question d’un sport collectif, la valeur est bien différente d’un footballeur à l’autre comme en témoigne la disparité de leurs contrats. Ainsi, la hiérarchisation des joueurs et l’organisation du travail montrent bien que la valeur des footballeurs a été construite socialement au cours du temps.

LECLERCQ Eloïse, Sciences Po Lille