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Est-ce que les héros de certains peuvent-être les bourreaux des autres ?

Ce mercredi 8 novembre s’est déroulée à Sciences Po Lille la conférence nommée d’après l’ouvrage de Bertrand Tillier La disgrâce des statues : Les conflits de mémoire de la Révolution française à Black Lives Matter qu’il est venu présenter. “Tout cet embrasement empêche de voir l’histoire des mouvements sociaux”. Entre  l’étude de l’art, de la propagande et du pouvoir, le professeur d’histoire de Paris I Panthéon Sorbonne s’oblige à une certaine distance avec l’actualité. La disgrâce des statues s’illustre par la statue équestre de Léopold II barbouillé de peinture rouge pour les crimes perpétrées au Congo et de slogans en solidarité aux manifestations des Etats-Unis. Il étudie surtout le cadre de contestation anti-raciste et anti-colonial. Gouvernement ou militants, pour Bertrand Tillier la démarche est la même : “En nettoyant l’espace public, on nettoie l’oeil.” Singularité des militants : étant dans l’action ils n’auraient pas conscience de l’histoire. Les militants se réinventent tout en s’inscrivant dans un “répertoire d’action collective” (Charles Tilly). B.Tillier rétabli l’antériorité des mouvements.

La disgrâce des statues ou la “statuo-clastie”

Il se refuse d’employer les mots vandalisme ou iconoclasme, l’un trop violent l’autre trop religieux. Il invente donc la “statuo-clastie”. Essentielle pour lui, il voulait en faire le titre de l’essai. À l’inverse de la statuo-manie étudiée par l’historien Maurice Aiguillon à la fin du XIXe siècle, la statuo-clastie est la “contestation des statues publiques figuratives” définit-il. La disgrâce des statues évoque la disqualification et la dévaluation symbolique : la tolérance des statues semble laisser place à leur remise en cause dans l’espace public. Dans un cadre anti-raciste ou anti-colonial les statues peuvent créer une oppression.

La force de l’image : rendre spectaculaire le geste

Même si la performativité des statues diminue, grâce à des rituels ou actualités, les statues ne sont pas oublier. Pourtant la condamnation des statues fait aussi partie de leur performativité. C’est aussi par la force des images que les formes d’inscriptions dans l’espace évoluent. Destruction, déboulonnage, disgrâce : des images ludiques ou terribles se créent. Par la publication de ces images, les militants se rencontrent et se mobilisent. Détruire les statues se serait détruire l’histoire, c’est pourtant l’inverse pour des mouvements d’extrême droite qui refusent la destruction de l’histoire et détruisent des statues d’art contemporain exposées dans des jardins patrimoniaux.

Matérialiser la domination du pouvoir

Détruire ou remplacer c’est nettoyer les symboles perdus. En construisant des statues, le pouvoir marque l’espace public et la mentalité du citoyen en agissant sur son espace géographique. Il distingue les régimes qui créent de nouveaux symboles (statuo-manie) et les régimes qui créent de nouveaux symboles. Détruire ou enlever les statues qui sortent de l’espace public ? La question est essentielle pour Il. Le public s’est interrogé sur l’oppression des figures coloniales, la jeunesse qui veut comprendre la généalogie de la violence du racisme structurel ou encore sur la comparaison avec les dégradations récentes des peintures.

Emma Bevivino