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Le matériau au service de l’artisticité

Bernard Sève pétrisseur de l’art

L’audience prend place dans la salle parcourue de discussions à voix basse. Nous sommes tous là pour découvrir l’auteur de Les matériaux de l’art (Seuil, 2023). Le livre de 592 pages vient à peine de sortir, mais chacun détient son exemplaire rempli d’annotations.

Le docteur, professeur des universités en esthétique et philosophie de l’art entre.

Interviewé par Sarah Troche, professeur de philosophie à l’Université de Lille, Bernard Sève nous plonge dans le monde parfois intimidant de l’art.  Sa capacité à simplifier des concepts à la fois abstraits et spécifiques fait de cette conférence un grand moment de délectation.

S’intéressant à plus d’une centaine d’arts, Bernard Sève est l’auteur de travaux sur la pensée de Montaigne (Montaigne, des règles pour l’esprit, PUF, 2007), il a notamment publié L’Altération musicale (Seuil, 2002), De haut en bas : philosophie des listes (Seuil, 2010) et L’Instrument de musique (Seuil, 2013).

Mais si nous sommes tous réunis dans cette salle de la médiathèque Jean-Levy c’est pour son dernier ouvrage. Ce livre, tout comme son auteur, rend compte de l’incroyable ampleur de l’inventivité artistique. Sa manière d’aborder une liste longue et non exhaustive des pratiques artistiques permet, non pas de les hiérarchiser, mais de mettre en évidence leurs échos, d’en rapprocher certains tout en mettant en lumière les différences d’autres.

Art et non-art, une dichotomie obsolète ?

La classique tentative de définition de l’art est ici inutile. Bien que le terme soit défini dans l’introduction du livre, par souci de précision didactique ; nous comprenons rapidement que ce n’est pas le propos. L’ouvrage nous offre un terme pour définir la quantité d’artistique dans un objet ou une œuvre : l’artisticité.

Durant 6 chapitres parsemés d’exemples précis nous découvrons les différents matériaux pouvant être utilisés dans une œuvre, à la fois matériels et immatériels. Car en effet, selon le Bernard Sève, tout œuvre suppose le travail d’un matériau. Mais quel est le matériau du poète ? Ce n’est ni la feuille, ni le crayon. Le matériau est caractérisé par le fait qu’il se travaille, pour toujours tenter de l’améliorer. Le poète ne travaille pas sa feuille mais bien son langage. Ainsi, le matériau d’un jongleur n’est pas la balle, mais bien le geste et l’exécution de figures dans l’espace.


Les coulisses de la création

Lorsque le mot artiste est prononcé, l’image du génie solitaire s’impose de lui-même. Or, Bernard Sève s’applique à démystifier cette idée. L’artiste n’est pas seul, et l’œuvre vous cache bien des coopérations secrètes. Tout d’abord avec l’histoire de l’art. Aucune œuvre n’apparait ex-nihilo de l’esprit du créateur. Le processus partiellement inconscient de création implique une personne baignant dans une culture et un contexte économique, social, religieux qui influencera grandement son œuvre. L’histoire est la première source dont peut s’inspirer un créateur, ce dernier peut étudier l’histoire de son art mais aussi l’histoire des arts comportant des similitudes avec le sien.

L’histoire et le contexte ne sont pas les seuls éléments pouvant influencer un artiste, son entourage et les nouvelles personnes qu’il rencontre auront un impact sur l’œuvre. Amis, collaborateur, élèves ou maitres, ces personnes participent à leur manière au résultat final.

Une fois l’œuvre finalisée, une seconde vie s’offre à elle, et ce par l’intermédiaire de citations, reprises, inspiration dans d’autres œuvres. N’oublions pas l’importance de la restauration dans l’art, sujet auquel l’auteur accorde tout un chapitre.

À la suite de cette conférence, le public visiblement instruit sur le sujet de la philosophie de l’art pose des questions étonnantes et pertinentes allant de la pratique de la musique jusqu’à l’artisticité des échecs en passant par le caractère éphémère de l’art.

Ce moment de partage de la connaissance sur la philosophie de l’art entre l’auteur, son intervieweuse et l’auditoire nous renvoie à une question première : Que sais-je ? par Jade Ceni