Les statues et leur place dans la mémoire collective : une conférence révélatrice des tensions qu’elles cristallisent
Bertrand Tillier, docteur en histoire de l’art, est venu échanger sur son dernier ouvrage, La disgrâce des statues, Essai sur les conflits de mémoire, de la Révolution française à Black Lives Matter. La modératrice de cette rencontre, Elise Julien, est ainsi d’abord revenue sur la couverture de l’ouvrage, représentant une statue de Leopold II, barbouillée de rouge aux yeux et mains du personnage, qui illustre les récentes tensions vis-à-vis de la mémoire du roi belge et de ses politiques coloniales. E. Julien met cependant en garde : il ne faudrait pas croire que la « disgrâce » des statues est récente, et B. Tillier rappelle la nécessité de s’extraire des tensions contemporaines pour apercevoir dans les critiques adressées à ces monuments une dynamique constante et inhérente à leur mise en place dans l’espace public. Une distance historienne qui n’empêchera pas des réactions vives de la part de l’audience.
La « disgrâce » des statues, ou « statuoclastie », un phénomène pas si récent
La modératrice interroge tout d’abord l’auteur de l’essai sur le choix des termes employés, celui-ci confie avoir procédé par élimination : le vandalisme renverrait à un imaginaire social lourd de connotations négatives, l’iconoclasme à un imaginaire trop religieux et le sémioclasme perdrait en précision : c’est le terme de « statuoclastie » qui est conservé. Celle-ci serait en germe tout au long du processus d’édification des statues depuis la Révolution française : aucune statue implantée dans l’espace public n’est le fruit d’un consensus. Les critiques sont diverses mais renvoie à quatre principales dimensions : celle de « l’hommage excessif », renvoyant à la question de la légitimité, celle de la forme du monument, renvoyant aux questions esthétiques, celle de la temporalité de l’hommage et celle de l’emplacement. Les enjeux politiques autour de l’édification des statues sont eux-mêmes source de contestations : les autorités les incorporent à l’espace public pour affirmer un pouvoir : la colonne Vendôme par exemple, impossible à examiner en détail à cause de sa taille et de sa verticalité, n’a pas pour vocation d’être vue mais bien de s’imposer en symbole de pouvoir. En outre, la statue n’est jamais complètement immobile : elle est performative, et instaure une vie sociale et des usages autour d’elle ; de ce point de vue, les contestations du monument ne sont que les témoins de cette performativité.
Un échange animé autour de la statue de Faidherbe à Lille
C’est au sujet du sort des statues que le débat s’est créé dans la salle : après l’énumération par l’auteur des possibles solutions pour répondre aux tensions (mise en place des statues au sein des musées, ou de dispositifs didactiques dans l’espace public), un membre de l’audience a protesté en remettant en avant le rôle de la légalité et l’importance de la majorité dans les prises de décisions avec les institutions politiques, en reprenant l’exemple de la statue de Faidherbe à Lille. Un membre du collectif « Faidherbe doit tomber ! » a réagi en argumentant que le maintien de la statue après ses détériorations il y a quelques années s’était justement décidé sans consultation citoyenne, l’occasion pour une étudiante de l’établissement de rappeler le manque de considération vis-à-vis de la parole des descendant.es d’immigrant.es au sein des débats sur le sujet et l’immobilisme de la Mairie de Lille.
Mathis LAQUAY