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« Précarité au travail » : diagnostic d’un « fait social contemporain et majeur »

Dans une discussion animée par Véronique Chatenay-Dolto, François-Xavier Devetter (professeur d’économie et directeur adjoint au CLERSE-CNRS), Nicolas Jounin (sociologue et enseignant-chercheur) et Nicolas Roux (enseignant-chercheur en sociologie) ont dressé un panorama de la notion de précarité, soutenu par de nombreux exemples issus de leurs recherches et enquêtes respectives dans le monde du travail.

Ce vendredi 10 novembre le Palais des Beaux-arts accueillait la conférence « précarité au travail » où les intervenants se sont efforcés d’analyser, malgré un sujet très dense, le « fait social contemporain et majeur » de la précarité, qualifiée comme tel par Nicolas Roux. Les chercheurs ont d’abord fourni un travail de construction de l’objet de la discussion en abattant différentes prénotions. Nicolas Jounin a rappelé la nécessité de comprendre la précarité comme un « rapport social de dépendance » passant par le « contrôle de la mobilité des travailleurs » (un contrôle d’autant plus avancé pour les travailleurs étrangers qui dépendent d’un « adoubement féodal » par l’employeur pour obtenir un titre de séjour). Il a aussi parlé du CDI et du fait que sa généralisation était au départ une volonté patronale et que la proportion de ces contrats n’a depuis 20 ans presque pas changé : il faut donc pour comprendre la précarité prendre en compte d’autres logiques comme les stratégies de « contournement » du salariat.

Nicolas Roux a poursuivi en s’attaquant aux discours sur les « pénuries de main d’œuvre » ; il explique  que le problème vient non de l’offre mais de la demande de travail (emplois « au rabais » voire illégaux…) et montre comment ces discours et les réformes qu’ils justifient suivent la vision néoclassique de « l’homo economicus » dans laquelle le chômage, issu d’un simple choix rationnel, devrait être combattu (suivant une logique de « l’emploi à tout prix ») par l’incitation au travail via la baisse des aides aux personnes sans emploi. Nicolas Roux parle d’une « culture du soupçon » qui s’abat sur les chômeurs et les stigmatise (en amalgamant notamment le fait de ne pas avoir d’emploi et le fait de ne pas travailler) et qui favorise le non-recours aux droits par les bénéficiaires potentiels.

François-Xavier Devetter est venu ensuite illustrer le développement amorcé par ses interlocuteurs grâce à ses travaux sur le travail du care (assistantes maternelles, aide à domicile, nettoyage…), très précarisé et où le CDI est la norme : travailleurs étrangers (95% parmi les agents d’entretien en Île-de-France), indemnités en cas de licenciement abusif tellement faibles que celui-ci devient une option intéressante pour l’employeur…le professeur en économie a mis en lumière trois mécanismes qui plombent les salaires du care : la naturalisation des compétences (se basant sur des schémas de pensée misogynes), la mobilisation d’une « offre de travail excédentaire » (étrangers, étudiants…) et « l’éclatement des collectifs de travail » qui freine la mobilisation syndicale.

Les intervenants sont d’ailleurs revenus sur la question du syndicalisme, dont la marge d’action est obstruée dans les métiers du care. A l’occasion d’une discussion avec le public ont aussi été présentées par les chercheurs des solutions possibles pour ces métiers : revenu universel, socialisation de la production…Enfin ont étés abordés les maladies et accidents professionnels qui, l’explique Nicolas Jounin, sont conséquences mais aussi causes de précarité, pouvant mener à des licenciements pour inaptitude.

Eugène Gimenez-Mailhes