Le « moteur animal », condition du processus d’industrialisation au XIX è siècle
Le 9 novembre 2023, au cœur de l’auditorium des Beaux-Arts de Lille, François Jarrige est venu présenter son dernier livre La Ronde des Animaux, tout en livrant une réflexion plus globale sur l’exploitation et le travail animal. L’ouvrage s’inscrit dans deux champs académique très peu mis en relation auparavant : « Animal Studies » et histoire sociale du travail. Par cela, il aborde un vide académique et fournit de nouvelles questions au monde de la recherche.
Une invisibilisation du travail animal au moment où celui-ci est au centre de la production
François Jarrige définit les animaux comme les « acteurs oubliés de l’histoire », alors même que le capitalisme industrialisé du XIXème siècle semble être l’âge d’or du travail animal. Cette invisibilisation s’inscrit dans une diversité sémantique pouvant expliquer la faible présence du sujet dans les recherches sur le travail. « Moteur animal », « moulin à sang », « moteur vivant » sont autant de façons de caractériser la mise au travail des animaux. Au XIXème siècle, il est renvoyé à une pratique antique alors même que jamais autant d’animaux n’avaient été incorporés dans le processus de production. En effet, chevaux, bœufs, mulets et même chiens sont mis au travail dans des activités de tractage et de pompage au sein de machines appelées « manèges » (un animal tourne en rond, activant ainsi un engrenage).
L’industrialisation du travail animal indispensable à l’industrialisation de la production
Le processus d’industrialisation qui se met en place au XIXème siècle semble être indissociable de la mise au travail des animaux. Celui-ci ayant toujours existé, il s’agit plutôt d’un changement de nature de ce travail. Il est industrialisé, notamment par le développement de la zootechnique (tentatives d’optimisation de l’utilisation des animaux dans la production). Dans les campagnes cependant, le développement de la machine à vapeur concurrence le « moteur animal ». Prend alors place une lutte idéologique où les ingénieurs dénoncent l’archaïsme des « manèges » tournant en rond, entrant métaphoriquement en contradiction avec une nouvelle vision du progrès au XIXème siècle, durant lequel l’histoire est perçue comme une marche linéaire vers le progrès.
L’exploitation animale, une question morale ?
La question de la mise au travail pose aussi des questions philosophiques et morales. Certain-e-s ont pu faire des comparaisons entre le travail animal et l’exploitation des êtres humains dans le processus de production : l’animal comme prolétaire et le prolétaire comme animal. Toute mise au travail serait-elle aliénante en soi ? François Jarrige répond à cette question en évoquant la diversité des situations, et la nécessité de mener une réflexion plus globale à propos de conditions de travail. Comment affirmer que le cheval qui descend dans la mine subit la même exploitation qu’un chat utilisé pour débarrasser une exploitation agricole des nuisibles ?
Le sujet pose également la question du consentement des animaux au travail. Karl Marx disait déjà que « les chevaux ont leur tête ». Le processus de domestication visant à assujettir l’animal aux besoins humains ne serait-il pas déjà une objection au consentement de l’animal ?
Alex Joseph, étudiant-e à Sciences Po Lille.