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La souffrance au travail ou l’instrument de domination du « New Public Management »

Aucune place n’a été laissée libre ce samedi 11 novembre à l’Auditorium des Beaux- Arts de Lille à l’occasion de la venue de Christophe Dejours, psychiatre, psychanalyste et ancien titulaire de la chaire psychanalyse-santé-travail au Cnam. Face à un public attentif, il a tenté de répondre à la question « Sommes-nous condamnés à souffrir au travail ? » posée par Katia Genel, modératrice de la conférence.

La souffrance intrinsèque au travail

Souffrir fait partie intégrante du travail dans la mesure où pour l’auteur, tout travail est encadré par un ensemble de prescriptions auxquelles le travailleur doit répondre sans jamais pouvoir les exécuter parfaitement. Autrement dit, la tâche que l’on nous soumet est toujours en décalage avec l’activité réelle car le chemin exact qu’il faudrait emprunter pour exécuter la tâche, ne peut être respecté. Même sur une chaîne de montage, l’ouvrier doit sans cesse anticiper et s’adapter aux imprévus. La réalité du travail, née donc de la confrontation entre l’arrivée de l’imprévu et le réel, se fait connaître par l’échec or l’échec génère toujours une forme de souffrance.

Néanmoins, le fondateur de la psychodynamique du travail ne voit pas cette souffrance comme une fin ; c’est bien parce que le travailleur souffre que son « intelligence » émerge. De fait, il sera obligé d’inventer  des dispositifs d’adaptation pour résister aux imprévus et c’est dans cette créativité que réside le génie du travailleur.
Postulant une « centralité » du travail, à savoir l’idée selon laquelle se joue dans le travail notre subjectivité entière, le philosophe y voit un possible médiateur d’accomplissement personnel. Ainsi, la souffrance au travail est inévitable mais ce qui n’est pas joué d’avance c’est le destin de cette souffrance.

Souffrir : une nouvelle finalité du travail

L’apparition du suicide sur le lieu de travail serait liée à l’apparition d’un « tournant gestionnaire » à la fin du XXème siècle qui aurait bouleversé l’organisation du travail. Jusqu’alors pensée par des gens du métiers, elle est désormais produite par des PDG qui ne connaissent rien du travail des personnes qu’ils dirigent. Or, ne rien savoir et ne rien vouloir savoir d’elles n’est rien d’autre qu’une méthode de domination. De plus, la mise en place de nouvelles formes d’organisations du travail basées sur la collecte quantitative des performances individuelles  détériorent la santé mentale des travailleurs. Néanmoins, regarder l’atteinte d’un niveau inédit de souffrance comme le fruit d’un ensemble de choix politiques est la condition sine qua none pour penser sa contingence.

Anna Baer Vicente