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La domesticité chez les ultra-riches ou quand les plus fortunés « ont le pouvoir d’acheter du temps. »

Une sociologue dans la peau d’une baby-sitter pour ultra-riches, c’est un peu l’histoire d’Alizée Delpierre. La spécialiste du travail est venue partager vendredi 17 novembre, au théâtre de la Verrière, le contenu de son ouvrage Servir les riches. Les domestiques chez les grandes fortunes paru en 2022. De la réflexion déployée pour cette enquête sociologique aux mécanismes de domination mis en place par les 1% les plus riches, la chercheuse au CNRS est revenue durant deux heures sur ce qu’elle nomme « l’exploitation dorée. »

Domestiques et multimillionnaires, des individus que tout oppose mais qui cohabitent

La recherche de l’entre-soi à tout prix semble être l’apanage des ultra-riches. Quartiers huppés concentrés, clubs fermés convoités ou écoles d’excellence privées sont tant d’exemples de cette volonté des millionnaires de vivre à l’écart du reste de la population. Pour autant, d’après Alizée Delpierre, il existe un lieu, aussi paradoxal soit-il, « où les riches se confrontent à l’altérité » : leur domicile. Ainsi, le rapport de domesticité pose cette question singulière qu’est « comment des milieux que tout oppose se côtoient dans un espace si intime ? » Une interrogation structurante qui a incité la sociologue, devenue nanny durant le temps de l’enquête, à pousser les portes des demeures les plus luxueuses pour explorer le monde des grandes fortunes.

« Les domestiques sont le socle de la richesse d’un ultra-riche. »

Chez les ultra-riches, mener un train de vie digne d’un PDG du CAC40 n’est pas de tout repos. Alors, pour se laisser quelques moments de liberté, quoi de mieux que de s’acheter du temps ? Si vous pensiez cela impossible, c’est pourtant ce que font les plus fortunés qui « ont le pouvoir de déléguer les tâches domestiques et donc le pouvoir d’acheter du temps. » rapporte la spécialiste du travail. D’après cette dernière, la domesticité leur libérerait alors « un temps précieux pour se reproduire en classe sociale. » Plus surprenant encore, la quantité de domestiques et autres majordomes ferait figure de critère pour évaluer leur richesse. De quoi faire de ces domestiques « le socle de la richesse d’un ultra-riche » conclut-elle. 

La domesticité, un droit d’exploiter ?

Être domestique, dans le meilleur des cas, c’est cohabiter avec son employeur, recevoir de multiples cadeaux de celui-ci et gagner jusqu’à 5000€ par mois. Mais cette générosité déguisée s’accompagne d’une réalité bien plus complexe : en échange de ces rétributions, les ultra-riches parviennent à « acheter le corps des domestiques » qui deviennent « corvéables à merci. » Un réel problème pour Alizée Delpierre qui constate que d’un côté les élites contournent à la perfection le droit et que de l’autre côté les conventions collectives encadrant la domesticité sont « écrites de manière à flexibiliser ces relations de travail et d’en faire un salariat constamment adaptable. » Une exploitation d’un autre temps qui perdure donc, et pose question à l’heure où le gouvernement français mène une politique publique de délégation du travail domestique.

                                                                                   Clément Allender, étudiant à l’Académie ESJ Lille