« Ubernaque » Issu des revendications exprimées en 2016, le mot-valise « Ubernaque », association d’ « Uber » et « arnaque » semble bien correspondre au désenchantement des chauffeurs Uber que décrit Sophie Bernard dans son ouvrage source : AFP, publiée par Ouest France, le 19/12/2016, consulté le 15/11/2023
Publié le

Les travailleurs des plateformes : rêves d’autonomies et nouvelles subordinations

Rendu visible par leurs mobilisations pour une protection sociale et débattu en ce moment à la commission européenne, le statut des travailleurs de plateforme, présentés comme indépendants mais soumis de fait aux fortes contraintes de ces entreprises, interroge. Sophie Bernard, s’est emparée du sujet dans son ouvrage « UberUsés, le capitalisme racial de plateforme à Paris ».

« Un travail propre », attentes et désenchantements de l’entrée dans le métier

Libre organisation du temps de travail et meilleure rémunération, la fin des discriminations, de la pénibilité et de la subordination subies dans les emplois auxquels sont assignés les personnes racisées ou issues de l’immigration, sont des raisons qui poussent vers le métier de chauffeur VTC. Mais ces attentes sont rapidement déçues, les travailleurs se trouvant confrontés à d’autres formes de pénibilité : mal de dos et surtout épuisement lié aux heures passés devant le volant, très tôt le matin ou tard la nuit pour bénéficier de meilleurs tarifs, stress de la circulation et d’un travail sans cesse évalué par les clients. Une évaluation qui est la clé de voûte du contrôle à distance mis en place par Uber, fait de notations, incitations et « conseils » qui façonnent temps de travail et prestations à fournir. Le tout pour des rémunérations qui ont rapidement baissés, obligeant à l’extension de la durée du travail.

Un capitalisme racial de plateforme

S’appuyant sur le concept de racialisation, qui désigne des logiques de production de hiérarchies raciales, qui assignent les personnes racisées à des positions matérielles et symboliques subalternes dans l’ordre social, Sophie Bernard défend le concept de capitalisme racial de plateforme. Les plateformes sont ces entreprises, dont Uber est l’exemple le plus saillant, qui mettent en relation une clientèle et des prestataires de service, des particuliers avec un statut indépendant qui mettent ainsi à disposition leur force et outil de travail (ici : leur propre voiture). Or, cette main-d’œuvre est très largement constituée d’homme racisés. L’autrice montre que la racialisation offre à la        plateforme la réserve de main-d’œuvre à bas coût dont elle a besoin. Elle tire ainsi parti des hiérarchies raciales et participe dans le même temps à leur production : car une fois les travailleurs attirés par des primes et une bonne rémunération lors de la mise en place de la plateforme, une fois un vivier de chauffeurs constitué donc, les rémunérations baissent et conditions de travail se dégradent. La position de chauffeur Uber reste subalterne et réservée à une population racisée ou issue de l’immigration.

Un statut d’un nouveau genre

Uber c’est une entreprise économique d’un nouveau genre, s’implantant d’abord illégalement avant de mettre les pouvoirs publics devant le fait accompli : celui d’un statut de travailleurs hybrides, subordonnés mais sans droits, qui prennent des risques mais sans bénéficier d’autonomie. Si les pouvoirs publics ont été si prompts à l’accepter, c’est qu’il s’inscrit dans un discours ambiant, qui fait de l’emploi un totem, si précaires et pénibles soient-ils, et du plein emploi à atteindre, même au prix d’une dégradation des conditions de travail et de rémunérations.

Mathilde Adler