Mein Kampf, « une zone dangereuse, toxique et brûlante » mais pourtant essentielle
En ce mercredi 22 novembre, Olivier Mannoni, traducteur français de nombreuses œuvres romanesques allemandes, de philosophie et surtout du nazisme, est venu à Sciences Po Lille pour parler de son dernier livre, Traduire Hitler, paru en 2022. Evoquer cet ouvrage dans lequel il relate son expérience en temps que traducteur de Mein Kampf permet de revenir de manière plus générale sur ce que représente la traduction de l’un des ouvrages le plus connu et décrié du XXème siècle.
Traduire Mein Kampf pour une seconde fois est indispensable.
La première édition de 1934 est publiée par Les Nouvelles Editions latines, maison d’édition liée à l’Action Française, profondément antisémite et « anti-boche ». Cette édition pirate n’aurait pu voir le jour sans l’aide de la ligue contre l’antisémitisme. Aussi paradoxale que cette association puisse paraître, leur but est le même : faire lire aux Français Mein Kampf afin qu’ils sachent ce qu’il va se passer. Cette première édition, vierge de tout appareil critique, ne rend que le fond et omet la forme du texte. Elle se veut lisible. Or comme l’a répété Olivier Mannoni, la forme complètement illisible du texte est essentielle. Il décide alors, avec une équipe franco-allemande de chercheuses et chercheurs, de s’attaquer à l’essence même du texte dans l’ouvrage Historiciser le Mal, un livre de 700 pages incluant la traduction et une mise en contexte, pesant 4kg et coutant la modique somme de 100 euros.
Traduire Mein Kampf n’est pas un long fleuve tranquille
Deux étapes ont été nécessaires pour écrire la version finale d’Historiciser le Mal en 2021. De 2012 à 2014, Oliver Mannoni et son équipe produisent une première traduction qu’ils et elles savaient médiocre car trop éloignée du texte d’Hitler. Le texte de base étant mauvais, le traducteur ou la traductrice tentent généralement d’améliorer le texte afin de le rendre accessible notamment en supprimant quelques phrases. Arrive ensuite un nouveau directeur de publication aux Editions Fayard, Florent Brayard, qui souhaite une toute autre traduction. Il demande à ce que la traduction française colle parfaitement au texte allemand. Les phrases allemandes comportant une succession de 5-6 adverbes ne doivent surtout pas disparaître. L’objectif est d’utiliser une approche « sourciste » afin de « rehitlériser Hitler ».
Traduire Mein Kamp ou plutôt une « purée de pois »
La traduction de la pensée d’Hitler relève d’un double défi : traduire d’une langue vers une autre mais surtout traduire, ce qu’appelle l’écrivain et philologue allemand Victor Klemperer, la « langue nazie ». Cette langue possède trois caractéristiques : elle est violente, elle cherche à séduire et elle tente de dissimuler l’horreur. La plume d’Hitler, en plus de cocher ces trois caractéristiques, est lourde, pleine de maladresses et confuse. Pourtant, sa traduction est plus que nécessaire dans la mesure où cela nous éclaire sur le présent. Comment comprendre le terme de « Remigration » ou même de « Grand Remplacement » sans lire Mein Kampf ? Une fois cette lecture faite, les parallèles entre Trump, Zemmour et Hitler ne font que sauter aux yeux.
Traduire Hitler est ainsi primordial pour comprendre le monde actuel et mieux l’affronter mais surtout, pour « refroidir l’anneau de feu » que représente ce texte.
Lucie Morin