Jean-Claude Quentel (psychologue et professeur émérite en sciences du langage à l’université Rennes II) et Jean François Rey (modérateur de la conférence, professeur agrégé de philosophie), auditorium du Palais des Beaux-Arts, 22 novembre 2023
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L’adolescence ou l’émergence de la personne : théorie de l’abstraction

Jean-Claude Quentel, psychologue et professeur émérite en sciences du langage à l’Université de Rennes II, accompagne ses patients à travers tous les âges de la vie. La place des adolescents dans la société l’a souvent interrogé. Il publie cette année chez Gallimard – La personne au principe du social : leçons de l’adolescence. Inspiré par la théorie de l’anthropologue Jean Gagnepain, il repense la notion de personne en la reliant étroitement à l’adolescence, tournant de l’existence. 

            L’humain est capable d’abstraction

            Jean Gagne-Pain cherche à identifier les capacités proprement humaines. Il convoque quatre registres de la tradition des sciences humaines : le signe (qui renvoie au langage), la norme, la technique, et la personne. Tous reposent sur notre capacité d’abstraction.

            Les travaux de l’anthropologue sur l’aphasie (une pathologie qui conduit à perdre totalement ou partiellement la capacité de langage) montraient déjà cette idée. Jean-Claude Quentel nous rappelle que depuis Saussure, le langage est reconnu comme une abstraction :« Quand j’emploie le terme marron pour désigner une couleur, je ne me réfère pas à un objet précis. Pourtant, les autres peuvent me comprendre  lorsque je parle d’une chose absente physiquement ». Seules les personnes aphasiques présentent une faculté d’abstraction altérée.

La personne

            La notion de personne est aussi une abstraction. Quand Ulysse déclare au cyclope « Je m’appelle Personne », il joue sur la confusion entre l’idée de ne pas avoir d’identité, et celle de se prénommer « Personne ». Chez Kant, une personne désigne une chose qui n’a pas de valeur fixe monnayable. Dans les deux cas, il est difficile de faire de la personne un objet concret. 

            Jean-Claude Quentel distingue les caractéristiques générales des êtres humains et celles qui font de nous des « personnes ». Tout être humain tend à s’organiser en société. Pourtant, on n’acquiert le statut de « personne » que lorsqu’on est en mesure d’interroger et d’agir sur cette société. Le statut « personne » résulte d’un processus.

L’adolescence ou l’émergence de la personne

             Quand devient-on une personne ? Dans les années 1970, Françoise Dolto faisait grand bruit avec l’émission Le bébé est une personne. Bien sûr il n’est pas question de considérer un bébé comme un individu autonome, mais l’enfant est-il un acteur du social ? Pour Jean Gagnepain, c’est plutôt l’adolescence qui marque l’« émergence de la personne ».

            Age de la raison ou âge de la protestation, l’adolescence n’est pas une simple création culturelle (entre les groupes de rock et les premiers amours) c’est aussi la sortie l’enfance (la période où notre faculté d’abstraction se confirme). Elle permet à l’individu de ne plus avoir de rapport immédiat à ses pulsions et de s’imposer des contraintes. Pas étonnant que le royaume sans adultes de Sa majesté des mouches vire à la catastrophe.

Fatou-Laure Diouf