Jean-Baptiste Fressoz (à gauche) et Gabriel Galvez-Behar (à droite), professeur des universités en histoire à l'Université de Lille et animateur de la conférence

Repenser l’histoire de l’énergie avec symbiose et sans transition

L’amphithéâtre de Sciences Po Lille affiche complet ce mardi 12 novembre. Il faut dire que l’invité défend une théorie surprenante, pour ne pas dire invraisemblable. L’objet de cette conférence est le dernier ouvrage de Jean-Baptiste Fressoz paru en 2024 Sans transition : une nouvelle histoire de l’énergie. Historien des sciences, des techniques et de l’environnement, chercheur au CNRS, enseignant à l’EHESS et à l’École nationale des ponts et chaussées, il entend ce soir démythifier une expression qui sature notre espace politico-médiatique, la transition énergétique. Alors que s’ouvre la COP29 en Azerbaïdjan, le mirage de cette transition plane toujours sans qu’aucun commencement ne paraisse tangible. Pourtant les effets du réchauffement climatique, eux, sont palpables.

Retour sur l’origine d’un concept, une histoire intellectuelle  

L’expression « transition énergétique » doit son apparition en 1967 au chimiste américain Harrison Brown à la faveur d’un lobby pronucléaire qui avance la nécessité d’une transition devant l’épuisement des ressources minérales. Le terme devient courant après le 1er choc pétrolier et la parution du rapport Meadows en 1972 pointant les limites de la croissance. Devant l’angoisse d’une raréfaction du pétrole vital au fonctionnement de l’économie mondiale, l’élite industrielle se mobilise pour ne plus dépendre seulement des énergies fossiles. Le pari sur des alternatives bas carbone éclipse la remise en cause de la croissance illimitée.

Accumuler plutôt que substituer, une histoire matérielle

Hier le charbon, aujourd’hui le pétrole et demain l’électricité. Voilà un « discours fallacieux » portant à croire qu’il y a succession d’âges dans les sources d’énergie. Jean-Baptiste Fressoz défend ainsi une dimension symbiotique des matières premières où la complémentarité dépasse « le modèle dominant d’une fresque relatant un récit phasiste » des énergies. « Penser le charbon c’est penser le bois » : l’armature des galeries pour l’extraction du charbon ou la production de rails pour les trains illustrent une multitude d’exemples qui prouvent qu’une énergie en appelle une autre. Idem pour le pétrole, quel point commun entre les pipelines et les tubes de forage pétrolier ? L’utilisation de l’acier dont la production dépend du charbon, un minerai qui sert encore massivement à la production d’électricité… Aucune de ces énergies ne sont contradictoires mais impliquent des dépendances éloquentes. Ce raisonnement « remet en perspective l’importance de l’innovation dans chaque époque » et nous fait prendre conscience de l’ampleur de la consommation des ressources énergétiques.

La responsabilité de la parole des experts

La transition énergétique serait un problème dans sa foi en la technologie qui induit « une forme de procrastination » en nous empêchant de se poser les questions qui fâchent. Jean-Baptiste Fressoz constate ainsi que le dernier rapport du GIEC paru en 2022 cite le mot « décroissance » 20 fois alors que « transition » y apparaît 4 400 fois. La « production scientifique reste très techno-solutionniste » sans jamais évoquer « quoi retirer ». Ne serait-il pas temps d’écarter l’expertise économique en termes de valeur monétaire pour réfléchir à l’utilité sociale du carbone ? Une chose est certaine, décarboner nécessitera plus de sobriété.

AMADEI Nicolas