Quand le sans forme un tout
Ce lundi 18 novembre, Citéphilo a mis en lumière le travail de Mazarine Mitterrand-Pingeot sur la philosophie du manque. Interrogée par Eva Lerat, professeure de philosophie, l’autrice de Vivre sans est revenue sur la définition que l’on donne à cette notion. À travers un discours éclairant sur la société contemporaine, elle dévoile les contours d’une philosophie qui manque dans le monde des idées.
La conférence s’est ouverte sur les mêmes mots que l’ouvrage de M. Mitterrand-Pingeot : « le manque manque. » Au sein d’une culture où tout doit être connu, dans les moindres détails, le manque est associé à la négativité. Il va alors de soi, face à cette béance, que toutes les strates de la société essaient de combler le vide. Des scientifiques aux politiciens en passant par les boîtes de communication, le manque est tourné dans tous les sens pour essayer de former un tout.
Le manque comme structure originelle de l’homme
Le manque est en nous. Sans cesse. On se débat mais, il est là. L’Homme, comme être doué de raison, essaie depuis des époques anhistoriques de trouver des réponses au manque. La technique en est une. Prométhée, voyant l’homme dénudé, dans une situation de manque critique, vole le feu aux dieux. Les nouvelles technologies répondent au même dogme : il nous faut absolument des outils qui nous permettent de pousser la connaissance à son paroxysme pour qu’à terme, l’homme puisse tout savoir. Pour qu’il ne manque de rien. Pourtant, c’est justement parce que l’homme est en manque qu’il agit. Et une personne qui n’a plus besoin d’agir, qui ne manque de rien et qui jouit du tout, se meurt.
L’utilisation du « sans » dans le marketing
Paradoxalement, le « sans » témoigne aujourd’hui d’une stratégie commerciale rondement menée par les industries capitalistes. Sa présence brille et pousse le consommateur à l’achat : « sans parabène », « sans gluten », « sans huile de palme ». Une simple manipulation de l’éthique des consommateurs. Le citoyen engagé, le consommateur affirmé des années 2020 veut faire attention à l’empreinte qu’il laisse quand il achète. Consommer « sans » devient alors valorisant et peut être valorisé par et pour l’industrie. Le marketing l’a bien compris. À l’ère du «sanswashing», le citoyen qui se pense engagé se retrouve piégé par une récupération commerciale pernicieuse qui fait des dons de « sans » tous azimuts.
Le manque : un reflet de la démocratie
Mazarine Mitterrand-Pingeot fait un constat simple : la démocratie se définit par une pluralité d’individus qui acceptent cette pluralité. Alors que cette pluralité peut paraître insupportable pour l’homme dans la mesure où elle le confronte chaque jour à des idées différentes que les siennes. Lui qui aime tant avoir raison. Mais justement, accepter la diversité, c’est accepter le fait que notre pensée n’est pas totale et qu’elle s’ouvre à une forme de béance, de manque. La démocratie devient alors le seul régime politique qui accepte le manque.
Félix Pérol