Guillaume Le Blanc, Hervé Vautrelle. @felixperol.

L’art des larmes

Ce mercredi 20 novembre, Guillaume Le Blanc était l’invité de Citéphilo pour donner une conférence en lien avec son dernier ouvrage : Oser pleurer. Interrogé par Hervé Vautrelle, le philosophe et professeur à l’université Paris Cité est revenu sur la place des larmes et des pleurs dans la philosophie, mais également dans la société. En balayant les clichés, il fait de l’acte de pleurer l’expression d’une force et d’une révolte intérieure qui gronde.

Dans ses travaux, Guillaume Le Blanc essaye de fonder une philosophie de la vie ordinaire. Et quoi de plus ordinaire, selon lui, que de pleurer ?

Les pleurs font notre humanité

Les larmes témoignent d’une histoire qu’on ne veut pas montrer. Elles sont la manifestation physique d’une tristesse ou d’un sentiment d’injustice indicibles. De cette manière, elles sont irremplaçables. Un moi profond s’exprime par les pleurs. Il se montre au monde, révolté, et ne trouve plus les mots pour caractériser son émotion. Le fait de pleurer témoigne alors d’une pulsion de vie intense qui nous submerge, à laquelle on succombe et qui reflète notre humanité. À travers cette idée, la conférence s’est conclue sur des questionnements inverses et percutants : pourquoi n’imagine-t-on pas Poutine ou Netanyahou pleurer actuellement ? Car ils sont les visages de l’inhumanité.

L’impossible consolation

À la mi-temps de la conférence, Hervé Vautrelle a interrogé l’invité sur la possibilité de la consolation d’un individu. Cette idée est balayée avec force par Guillaume le Blanc. Il fait de la consolation une norme sociale, totalement fictionnelle qui, dans les faits, n’existe pas. Les larmes agissent selon leur bon vouloir. Elles ne peuvent pas être maîtrisées par un intermédiaire. Si les pleurs sont l’expression d’une révolte qui gronde ou d’un sentiment d’injustice, les calmer revient à annihiler l’expression de soi. Dire à un enfant : “ce n’est rien, ça va aller” l’empêche d’exprimer une souffrance naturelle légitime. Il compare alors cela à une tentative de domestication de la nature de l’individu.

Les lieux des pleurs

Certains lieux favorisent les pleurs, car ils nous mettent dans des dispositions particulières. Ces dernières nous permettent d’exprimer notre émotion en confiance. Ces lieux sont très importants pour un individu. Le philosophe donne alors l’exemple de la tombe à travers l’Antigone de Sophocle. Elle demande à Créon une sépulture pour son père. Le frère de Jocaste refuse. Antigone se demande alors comment faire pour pleurer dignement la mort de son père en l’absence d’un lieu adéquat.

La salle de cinéma illustre ce même effet. L’atmosphère de ce lieu nous met dans un état de totale réceptivité créée par la pénombre et le silence. C’est alors que l’écran projette une image dont le contact immédiat provoque en nous une émotion qui nous bouleverse. Les pleurs du cinéma sont alors heureux, car on se sent vivre. La joie de se sentir vivre : c’est cela pleurer au cinéma.

Félix Pérol