Bénédicte Savoy, Jean-François Chougnet et Jacques Lemière à l'auditorium du musée des beaux-arts de Lille, samedi 25 novembre @JustineClastre

La restitution des œuvres d’arts, un enjeu géo – poétique

La beauté appartient-elle aux territoires qui l’ont vue naître ou à l’humanité tout entière ? Cette question, au cœur du livre À qui appartient la beauté ? de Bénédicte Savoy, a structuré une conférence réunissant l’autrice, Jean-François Chougnet, responsable du futur musée béninois des trésors d’Abomey, sous la modération de Jacques Lemière.

Les déplacements d’œuvres suscitent des enjeux complexes entre les musées occidentaux et les cultures d’origine. Sorti en septembre, le film Dahomey de Mati Diop a ravivé ce débat en retraçant le retour des trésors royaux restitués par la France au Bénin, illustrant l’importance croissante des débats autour des restitutions dans les discussions sur le patrimoine mondial.

Les « translocations » : quand le changement de lieu affecte la substance esthétique  

Travaillant depuis Berlin, Bénédicte Savoy a développé une sensibilité particulière à l’usage des mots et aux interprétations qu’ils véhiculent. Ainsi, si ce qui est appelé “conquête culturelle” en France est nommé “pillage napoléonien” en Allemagne, ce n’est pas sans signification.

L’auteur a choisi le terme de “translocation” dans son ouvrage :emprunté à la biologie, le mot désigne un déplacement qui modifie la substance. Ainsi, lorsque le buste de Néfertiti passe du sable égyptien au cœur de Berlin en 1912, il subit une véritable “recodification”.

Ce concept amène l’historienne à poser une question rarement abordée : pourquoi privilégie-t-on le moment de la création des œuvres plutôt que celui de leur arrivée dans les musées occidentaux ? Chaque objet présenté dans un musée est lié à une histoire politique et géopolitique, offrant une perspective sur les dynamiques de pouvoir qui façonnent la richesse culturelle des musées.

Restituer : un enjeu éthique pour guider les générations futures

Pour Jean-François Chougnet, les restitutions d’œuvres, autrefois un sujet tabou, connaissent aujourd’hui une évolution significative. Si le principe juridique d’inaliénabilité des collections publiques reste un frein majeur, des avancées illustrent une prise de conscience croissante, comme l’adoption à l’unanimité par le Parlement français de la restitution des trésors d’Abomey au Bénin, après 109 ans d’absence.

Ces restitutions posent un véritable enjeu éthique : souhaite-t-on transmettre aux générations futures des trésors acquis dans des contextes de violence et d’injustice?

L’art comme outil de renaissance

Ces objets, bien plus que de simples œuvres d’exposition, portent les cicatrices de blessures historiques profondes. Ainsi, les restitutions d’œuvres d’art vont au-delà de leur dimension esthétique, jouant un rôle crucial dans la renaissance culturelle les pays d’origine. L’exposition des trésors d’Abomey au Bénin a été accueillie avec un immense engouement, incarnant une forme de guérison nationale. Toutefois, si le Bénin a choisi la muséalisation, bien que le concept de musée n’ait pas d’équivalent dans sa culture, d’autres nations privilégient des approches plus traditionnelles ou symboliques pour intégrer ces objets à leur patrimoine.

En sommes, restituer n’est pas qu’un symbole, mais un acte de justice qui invite à repenser le patrimoine mondial. Pour Bénédicte Savoy, « restituer, c’est lâcher prise », un processus dont les pays occidentaux peuvent sortir grandis.

Justine Clastre