Laélia Veron et Sandrine Levêque à l'ESJ le 20 novembre
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Que dit le succès des récits des transfuges de classes de nos sociétés ?

Le mercredi 20 novembre, l’ESJ a accueilli Laélia Véron pour une conférence autour de son ouvrage Trahir et Venger – Paradoxe des transfuges de classes, animée par Sandrine Levêque. L’auteure a exploré les thèmes principaux de son livre,ainsi que des limites et des prolongements possibles de ses analyses.

À 22 ans, Annie Ernaux écrit : « J’écrirai pour venger ma race. » Devenue figure emblématique des transfuges de classe – ces personnes ayant accédé à une classe sociale différente de celle de leur naissance – elle incarne un genre de récits largement médiatisés et valorisés. Pourtant, lors de son discours de prix Nobel, elle s’interroge: « En quoi ma réussite personnelle aurait-elle pu racheter quoi que ce soit des humiliations et des offenses subies ? ».

Laélia Véron, d’abord émue par ces récits, a aussi développé progressivement un regard plus critique en découvrant les limites qu’ils révèlent. Elle analyse un manque de réflexion sur ces œuvres, en pointant des cas qui sont largement célébrés mais rarement interrogés.

Une étiquette sociale et médiatique surexploitée

L’auteure souligne que ces récits, bien que médiatisés, restent minoritaires et peu représentatifs, soulignant la tendance des médias à attribuer l’étiquette de « transfuge de classe » à des personnalités qui ne le sont pas réellement. Lors de son entretien avec Sophie Marceau, Léa Salamé l’interroge sur le fait de « venger sa classe », bien que cette dernière rejette tout caractère revendicatif. Ces questions semblent même parfois déconnectées, comme lorsque Maïwenn se compare à Jeanne du Barry malgré des parents issus du cinéma.

Ce succès médiatique interroge : ces récits ne sont-ils pas davantage le reflet d’une fascination collective pour un mythe plutôt qu’une réalité partagée ?

Une fascination pour la méritocratie… ou un rejet paradoxal

La chercheuse explique en partie le succès de ces récits par leur fonction “rassurante” dans une société marquée par la peur du déclassement. En mettant en avant le paradigme de l’ascension sociale porté par le discours libéral « quand on veut, on peut », ils séduisent, même s’ils ne concernent qu’une minorité.

Toutefois, les récits critiques envers la méritocratie ne sont pas exempts de contradictions. Si certains refusent d’être érigés en exemples, ils s’inscrivent néanmoins dans une tradition d’ascension sociale par l’éducation. Ainsi, Édouard Louis juge naïf les récits d’enfants sauvés par l’école, tout en rendant hommage aux professeurs qui l’ont soutenu et en valorisant son propre travail acharné.

Des récits dits populaires pour promouvoir une réussite intellectuelle élitiste

La chercheuse questionne ces récits dits populaires, dont la diffusion dépend du statut social des auteurs. Fiers de quitter leur milieu d’origine, ils critiquent peu celui d’arrivée et servent surtout ceux qui en sont partis. L’analyse prétendue collective devient d’ailleurs souvent un prétexte au récit de soi.

Laélia Véron admet que son étude se concentre sur les réussites intellectuelles, omettant d’autres parcours hors du cadre académique, souvent jugés moins légitimes, comme les réussites sportives ou économiques. Cette focalisation limite la perception de la mobilité sociale à des modèles élitistes, occultant d’autres formes de reconnaissance.

Justine Clastre