Israël, un Etat en quête de définition
L’Etat d’Israël occupe une place singulière dans l’histoire des nations. Danny Tromp, dans L’état de l’exil. Israël, les Juifs et l’Europe, analyse le paradoxe d’un Etat-nation issu d’un projet sioniste portant l’expérience historique des Juifs en exil.
En 2018, la Knesset adopte la loi controversée « Israël, l’Etat-nation du peuple juif » à une courte majorité. Destinée à renforcer l’unité nationale israélienne, elle divise la société : certains la voient comme essentielle, d’autres redoutent son potentiel à exacerber les tensions entre citoyens juifs et arabes.
Israël : le prolongement « d’une politique de l’exil »
Pour Danny Trom, la création de l’Etat d’Israël est une continuité de la « politique de l’exil » vécue par le peuple juif à travers les siècles. Cette politique est marquée à la fois par la volonté de trouver un Etat protecteur et par l’espoir que l’exil prenne fin. Elle émerge de l’expérience des Juifs en Europe, où l’antisémitisme et les persécutions subies en Russie s’intensifient. L’Etat d’Israël se pense comme un refuge, une fin à l’exil. La « loi du retour », adoptée en 1950, témoigne d’un désir de rassembler les Juifs du monde entier. Aujourd’hui, tous les Juifs n’y résident pas, laissant une question ouverte : Israël peut-il être l’Etat du peuple juif ?
L’impossibilité à fonder un Etat-nation
L’incapacité de l’Etat à « étatiser le peuple juif » vient de la complexité à définir ce qu’est être juif. Au XIXe siècle, fonder un Etat-nation est impossible : les Juifs vivent dans plusieurs Etats d’Europe, dans des conditions politiques disparates, sans terre, ni langue, ni culture commune. Minoritaires partout où ils résident, la possibilité de les réunir dans un Etat commun est impensable. Si le mouvement sioniste apparaît, c’est parce que les Juifs font un constat amer : les Etats sont incapables de les protéger. La création d’un Etat n’était pas l’objectif premier du mouvement, il provient d’un échec à trouver un espace d’émancipation en Europe. Le terme « d’Etat pour les Juifs » est mentionné pour la première et dernière fois dans l’un des discours d’Herzl.
L’Etat d’Israël : une crise permanente d’identité
Si l’Etat n’a pas d’identité propre, c’est parce qu’il ne s’est jamais doté de constitution. La société israélienne reste encore marquée par des divisions profondes : religieux contre laïques, divergences sur l’héritage sioniste, et tensions sur l’aspiration démocratique. La loi de 2018 illustre cette polarisation, exposant l’impossibilité de concilier les différents groupes de la société israélienne. La structure de l’Etat est fragilisée par cette absence de constitution : les lois fondamentales peuvent constamment être votées, modifiées et amendées par la Knesset. Cela s’incarne dans la dernière crise de la réforme judiciaire visant à affaiblir la Cour Suprême.
Danny Trom souligne que la dynamique sioniste, cherchant à créer un Etat juif pour résoudre le problème identitaire, a échoué. Les attaques du 7 octobre 2023 ont permis une unité nationale, tout en ravivant le sentiment d’insécurité existentielle. Pour autant, ce sentiment d’unité EST temporaire : l’Etat d’Israël reste un projet inachevé, entre la volonté de créer un Etat-nation juif et l’idée d’un Etat-refuge.
Chloé Laurent