Une leçon d'histoire féministe avec Michelle Perrot : conférence inaugurale
Lorsqu’elle s’assoit cette petite femme ne paye pas de mine, pourtant ne vous y trompez pas ! Le visage attentif, une intelligence vive, toujours le mot pour rire, elle mène son auditoire d’une main expérimentée.
En bonne historienne qui se respecte elle commence par le début : comment elle en est venue à s’intéresser à une Histoire féminine. Pourtant, comme elle le raconte avec malice ce n’était pas gagné ! Lorsqu’elle propose à son professeur de faire une thèse sur le féminin dans l’Histoire, il lui rit au nez : « Vous ne ferez pas carrière avec cela ! ». Si vous croyez que ça l’aurait découragée, vous vous trompez ! Après avoir finalement fait sa thèse sur les mouvements ouvriers, elle va consacrer le reste de ses efforts aux femmes.
« Les femmes n’ont pas d’histoire » (Simone de Beauvoir)
Les femmes n’ont jamais été complètement absentes de l’Histoire, elles n’en étaient simplement pas les sujets. L’Histoire, « le regard d’une société sur son passé » comme l’explique Michelle Perrot, se construit à partir d’une méthode. La méthode traditionnelle d’une construction historique fondée sur des données économiques et sociales exclue les femmes. Ces données ne les singularisent pas, elles les masquent parmi les hommes. On omettait même d’analyser le domaine où elles s’exprimaient : la sphère privée. Les seules femmes dignes d’intérêt historique sont : les reines, les saintes et les femmes galantes. Ce ne sont que des stéréotypes construits par des hommes. Ainsi l’historien Jules Michelet décrit Catherine de Médicis comme responsable de la Saint-Barthélemy, mais aussi défaillante dans son rôle de femme car ses fils sont homosexuels. Les femmes ont donc marqué l’Histoire par leurs déboires !
Les mouvements féministes, un nouveau regard sur le monde
Mai 68, n’a pas été un mouvement féministe comme le rappelle Michelle Perrot à de nombreuses reprises. Mais il a été le terreau du commencement de la réflexion sur la libération de la femme. A tel point que l’historienne alors professeure se demande : « Qu’est-ce que je dis des femmes dans mon cours ? Rien ! » Le problème c’est qu’il n’y avait pas de matériau à sa disposition pour changer cet enseignement masculinisant de l’Histoire. Il reste donc à construire cette nouvelle vision féminine.
La naissance de l’Histoire des femmes en Occident
Histoire des femmes en Occident, est un ouvrage collectif de 70 auteurs dont Michelle Perrot et Geneviève Fraisse rédigent le tome consacré au XIXème siècle. La conférencière nous retrace les multiples interrogations qu’a suscitées l’élaboration de cet ouvrage. La problématique de départ était bien de rendre visible les femmes, en donnant de la voix aux femmes opprimées, enjeu évident pour des auteurs emprunts des luttes féministes des années 1970. Mais aussi aux femmes ordinaires qui transforment la société par leur action quotidienne. Voilà la leçon de Michelle Perrot : réintégrer la femme comme élément de compréhension de l’Histoire.