Révolution des femmes, un siècle de féminisme arabe Entretien avec Feriel Ben Mahmoud
Symboliquement projeté à la médiathèque Andrée Chedid de Tourcoing, le
film « Révolution des femmes, un siècle
de féminisme arabe » retrace les émulations et l’organisation des
mouvements féministes arabes. La réalisatrice, Feriel Ben Mahmoud en évoque la
genèse pour Citéphilo.
Pourquoi avoir choisi ce thème du féminisme arabe ?
Je suis historienne, j'ai commencé par l'histoire avant de
faire des documentaires : on ne peut pas comprendre ce qui se passe
aujourd’hui sans regarder le passé. En réalisant un film sur la Tunisie
post-révolution [Feriel Ben Mahmoud est franco-tunisienne], j'ai été frappée
par le nombre de femmes qui étaient dans la rue, qui avaient peur qu’on touche
à leurs droits. En m’intéressant à ce qui se passait ailleurs – en Egypte, en
Libye – je me suis rendue compte que l’histoire des femmes était beaucoup plus
ancienne que 2011. Le public ne sait pas que dans les années 1920, des penseurs
réclamaient des choses qui ne sont toujours pas appliquées aujourd’hui. Je
voulais donc raconter, en me concentrant sur certains pays, dont la Tunisie et
l’Egypte, là où tout a commencé.
Justement, pour vous, quand commence le féminisme arabe ?
Les premiers penseurs, comme Qasim Amin, c’est 1890. Puis
dans la deuxième moitié du XIXe on trouve des penseurs réformistes
modernisateurs, notamment en Egypte. Mais les mouvements féministes commencent
vraiment dans les années 1920, avec Huda Sharaawi, la féministe arabe. Représentante des Egyptiennes au Congrès féministe
de Rome, elle était contre l’occupation britannique. A l’époque, le féminisme n’est
pas perçu comme occidental
mais comme une valeur universelle. Tahar Haddad par exemple ne parlait pas un
mot de français et avait une
éducation hyper traditionnelle. Mais il appartenait au courant réformiste et
disait : « on ne va pas s’en sortir si on ne s’attaque pas à l’émancipation
des femmes ». C'est une figure majeure du féminisme et pourtant
beaucoup continuent de considérer que le féminisme vient d’Occident.
Qui sont les nouvelles figures du féminisme arabe aujourd’hui
?
Les jeunes féministes se battent à travers internet sur des
sujets différents de leurs aînées. Elles parlent beaucoup de sexualité, d’égalité
sexuelle et la notion de corps est très présente. Le site internet Uprising of Women in the Arab World est
une nouvelle forme d’organisation. En Tunisie il y a encore des groupes très
anciens comme l’Association tunisienne des femmes démocrates qui existait sous
Bourguiba et qui luttait pour la démocratie et pour les droits des femmes.
Selon les régimes politiques c’est compliqué d’exister en tant que structure
indépendante mais les femmes sont sorties dans la rue et même si maintenant
elles le sont un peu moins, je pense que c’est momentané et que ça va ressurgir.
Est-ce que les hommes peuvent être féministes ?
Dans mon autre film, j’interviewais des hommes qui
soutenaient leurs femmes dans leurs combats. Il y a eu un fort enthousiasme au
moment de la révolution, les gens se sont rendus compte que tout était lié. La démocratie, le droit des
femmes, le droit des gays, le droit de tout le monde. Ce n’est pas un hasard s’il
y a eu trois associations, pour les droits des gays, lesbiens et transgenres
qui sont apparues à ce moment là. Il ne peut pas y avoir de vraie démocratie s’il
n’y a pas d’égalité pour tous, pour tous les citoyens. Ça n’a donc pas de sens
de dire que seules les femmes sont féministes. Être féministe c’est se dire -qu’on soit un homme ou une femme-
qu’on a exactement les mêmes droits dans la société.
Dans votre film, on voit Nasser se moquer des Frères
musulmans qui veulent imposer le voile dans l’espace public. Comment
expliquez-vous le basculement qui a eu lieu dans ces pays ?
C’est la question que je me pose encore. Cela dépend des
pays. En Algérie par exemple, les femmes ont participé à la guerre et on leur a
promis des droits avec l’indépendance qu’elles n’ont pas eu. C’était même pire
après, avec le code de la famille. Elles ont été utilisées par les dirigeants
du FLN [Front de libération nationale], des conservateurs qui ne voulaient pas
donner aux femmes autant de droits. La guerre de 67 a également eu un grand
impact dans la région. Ce conflit a été un tel échec pour l’Egypte et les peuples
arabes, une telle humiliation pour ces régimes laïcs que les religieux ont surfé sur ce
traumatisme en parlant de « la main de Dieu ». La défaite a été expliquée par la perte
des valeurs traditionnelles des peuples arabes. La révolution iranienne, le
manque de perspective, la religion et l’extrémisme, le nationalisme, tout cela
a eu un impact. Et les femmes cristallisent assez cette identité. Bourguiba
lui-même, qu’on ne peut pas qualifié anti-féministe, écrit un texte dans les
années 1920, quand les premières Tunisiennes se dévoilent. Pour lui, ce n'est pas le moment de rejeter le voile
car dans le contexte de lutte contre la colonisation française, ces femmes jouent le jeu des colons
qui veulent « libérer les musulmanes ». Il liait le voile à l’identité
tunisienne alors que lui-même n’était pas favorable au voile. Les femmes se
retrouvent toujours comme un enjeu, un outil des colonisateurs, des
nationalistes, et des religieux. Et c’est encore un peu comme ça aujourd’hui.