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Boris Vian, la langue et la musique

« Il y a seulement deux choses : c’est l’amour, de toutes les façons, avec des jolies filles, et la musique de La Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington », écrit Boris Vian en 1946 dans la préface de L’Écume des jours. Sur le premier sujet, je serais bien incapable de vous apporter une quelconque expertise. Sur le second, je viens d’assister à une conférence donnée par quatre vianomaniaques autoproclamés qui avait justement pour thème le rapport de Vian à la musique.


De la musique avant toute chose

Boris Vian est né en 1920 à Ville-d’Avray. Sa mère joue de la harpe et est pétrie d’opéra, mais c’est la trompette et le jazz que le jeune Boris choisit d’embrasser dès l’adolescence. Il apprend en autodidacte, et monte un groupe avec ses frères, Lélio et Alain. Dans les années 1940, la fratrie se produit dans les caves de Saint-Germain-des-Prés, et notamment au mythique Tabou, haut-lieu de l’existentialisme.

Mais Boris souffre d’un souffle au cœur et devra lâcher la trompette au seuil des années 1950. « Il entre alors dans le monde de la variété », raconte l’éditeur Marc Lapprand. Vian écrit plus de 500 chansons, dont une vingtaine qu’il interprète lui-même, sur scène. En 1952, il croise la route du compositeur Georges Delerue. « Une rencontre alchimique », rapporte l’universitaire Nadège Le Lan. Les deux hommes écrivent ensemble un opéra, Le Chevalier de neige, qui sera joué avec triomphe lors d’une unique représentation en 1957, deux ans avant la mort de Vian.


Un musicien des mots

La musique, Boris Vian ne s’est pas contenté d’en faire, il a aussi écrit dessus. « Il était amoureux du jazz, ne vivait que pour le jazz », disait de lui son ami Henri Salvador. À la Libération, les Américains sont à Paris, et le Prince de Saint-Germain-des-Prés est extrêmement déçu par leur inculture. C’est cette déception qui le pousse à intégrer la revue Jazz Hot, dans laquelle il signera des portraits de jazzmen. Il s’intéresse particulièrement aux musiciens Noirs, « à ceux qui sont méprisés chez eux et qui doivent être célébrés ailleurs », souligne Philippe Gumplowicz, musicologue.

Gilbert Pestureau avait noté que le jazz imprégnait la littérature de Boris Vian jusqu’à L’Écume des jours, roman qui constitue la quintessence de ses jeux avec la langue. Pestureau avait remarqué que le tempo des phrases changeait au fur et à mesure du récit. D’une première partie féérique en boogie-woogie, on passait ensuite dans du blues, annonciateur d’une fin tragique. Cécile Pajona, docteure en littérature, montre également que par la musique, l’auteur met en mouvement ce qui est censé être statique, comme lorsque le jeu sensuel de Johnny Hodges fait prendre à l’appartement de Colin et Chloé une forme sphérique.

L’héritage de l’homme-orchestre

La soirée s’est conclue par un concert du groupe Les copains d’alors, lesquels ont interprété les morceaux les plus fameux de Vian, ceux de ses copains Salvador, Gréco ou Brassens, ainsi que de grands thèmes de jazz. Ça n’avait pas l’allure des conférences spectaculaires de Jean-Sol Partre, mais ça s’en rapprochait quand même pas mal.