Une pensée radicale pour vaincre la haine des noirs
Comment éliminer toute négrophobie ? Dans Le manifeste afro-décolonial. Le rêve oublié de la politique radicale noire (Seuil), Norman Ajari s’efforce de donner une lecture analytique du phénomène et de ses mécanismes pour ensuite proposer une stratégie politique radicale permettant d’y mettre fin. L’auteur, maître de conférences en études francophones noires (Black Francophone Studies) à Edimbourg et docteur en philosophie, est venu présenter son ouvrage ce samedi à l’auditorium du palais des Beaux-Arts de Lille.
“La négrophobie est fondée sur l’abjection”
Selon l’auteur, la négrophobie a tendance à se dissoudre dans une catégorie un peu trop large de racisme qui va finir par effacer ses spécificités. Entre la négrophobie et les autres formes de racisme il n’y a pas de différence de degrés mais plutôt de nature. Historiquement, le phénomène a une dimension conceptuelle et manichéenne. La noirceur, appelée “négritude”, relève de quelque chose d’abject et de négatif par opposition à la pureté du blanc. Par ailleurs, le noir est la seule couleur qui ne reflète pas la lumière. Cette qualité particulière de la peau noire a d’emblée suscité “une explosion” de fantasmes, mêlant autant la puissance du corps noir que la crainte d’une contamination. Le philosophe poursuit en expliquant que l’homme blanc s’est longtemps représenté l’homme noir comme un corps étranger qui gangrène la société de l’intérieur et qui la contamine.
Aliéner pour mieux dominer ?
Norman Ajari distingue deux formes d’aliénation perpétrées encore aujourd’hui sur les populations noires. Le chercheur prend l’exemple des éditeurs de manuels scolaires français qui fournissent encore les pays africains francophones. Les enfants apprennent ainsi un système intellectuel dans lequel leur ancien colonisateur est le protagoniste. Il y a là une aliénation économique et intellectuelle entretenue par les dirigeants africains francophones et l’État français. Ce type de cas amène l’auteur à affirmer que les communautés noires en viennent à “consentir à leur propre génocide”, par manque de conscience que la vie d’un être noir vaut celle d’un être blanc. Selon l’auteur, le mouvement Black Lives Matter a émergé pour cette raison : redonner une valeur à la vie des personnes noires.
La réponse doit être radicale
Si à l’origine le mouvement Black Lives Matter s’avérait être une solution juste, le philosophe explique pourtant que les personnes à la tête de l’organisation ont utilisé « des cadavres noirs comme des marches pieds pour arriver au sommet de la hiérarchie sociale ». Patrisse Cullors, une des trois fondatrices du mouvement, a notamment volé l’argent de l’organisme pour le redistribuer à sa famille. Cette situation n’est pas acceptable et ne permettra jamais de vaincre la négrophobie. Le seul levier efficace pour en finir serait, selon l’auteur, de constituer une puissance politique noire, une union panafricaine qui permettrait aux pays africains de dépasser leur propre souveraineté en faveur d’une souveraineté fondée sur une fédération continentale. Norman Ajari suggère, comme première étape vers cette fédération plus vaste, “d’abandonner progressivement les frontières établies lors de la conférence de Berlin en 1885”.
Camille Rambault