Le corps, au cœur de l’exploitation capitaliste
Ce samedi à l’auditorium du Palais des Beaux-Arts, se réunissaient Emmanuel Renault, professeur de philosophie politique et sociale de l’Université de Paris Nanterre, et Alexis Cukier, maître de conférence en philosophie morale et politique à l’Université de Poitiers. Au cœur de leur dialogue, une réflexion sur la place du corps dans la compréhension de l’exploitation au sein du système capitaliste.
Aujourd’hui, le débat sur l’exploitation des travailleurs semble se limiter à la question de la rémunération. Or, cette approche masque la nature profonde de l’exploitation. Comme démontré par Marx, le travail exploite à la fois notre force corporelle et notre activité nerveuse. Par ailleurs, même quand les compétences en question ne sont pas physiques, l’exploitation peut tout de même affecter le corps. Les travailleurs dont on utilise les compétences cognitives, comme les enseignants ou les informaticiens, rencontrent des conséquences psychosomatiques ou des troubles musculo-squelettiques.
De nouvelles formes d’exploitation
Le néolibéralisme, apparu au début des années 1980, entraîne l’intensification de l’exploitation des travailleurs. Aujourd’hui, souligne Emmanuel Renault, on travaille toujours plus : l’âge de la retraite recule, et les performances individuelles sont évaluées, contrôlées par des outils informatiques, dans le but de verser un salaire « au mérite ». L’exploitation prend désormais diverses formes, avec la multiplication des contrats atypiques (CDD, intérim, entreprenariat).
Le genre et la racialisation, vecteurs d’une double exploitation
Le différentiel est d’abord salarial, puisque les femmes sont moins payées à postes et compétences égaux. De même, la féminisation des métiers va souvent de pair avec une dévalorisation. Enfin, l’exploitation des femmes est double si l’on considère le travail domestique, effectué sans contrepartie de salaire. Alexis Cukier rappelle également la dévalorisation symbolique et salariale du travail réalisé par les femmes racisées. Ainsi, si la quatrième vague du féminisme se concentre principalement sur le dénonciation des violences sexistes et sexuelles, cela ne signifie pas la fin de l’exploitation. Cette lutte doit se poursuivre par des mobilisations collectives, notamment menées par les syndicaux.
La question du vécu et de l’expérience
Dans son livre Abolir l’exploitation, Emmanuel Renault affirme que le concept d’exploitation n’est pas seulement théorique, mais traduit le vécu et l’expérience d’individus. Le concept, porté en 1830 par les mouvements ouvriers français, cherche à montrer la spécificité de l’expérience de travailleur, avec ses problématiques et ses perspectives d’améliorations. La conceptualisation a pour but de proposer nouvelle définition de l’expérience de l’exploitation et d’envisager la perspective de son abolition. Ainsi, vivre dans une société dans laquelle le concept d’exploitation n’existe pas empêche toute possibilité de changement ou de résistance. Pour Alexis Cukier, le vécu du travailleur doit être documenté, raconté ou filmé afin d’illustrer son point de vue singulier. Le travailleur peut alors réapproprier son corps dans le cadre de la résistance contre l’exploitation.
Clara Huon