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Lisez Questions à… Elles ont suivi De Gaulle. Histoire du corps des volontaires françaises (Perrin/Ministère des Armées), ce livre vient de recevoir le prix Guerres et paix

samedi 7 novembre 2020 de 17h15 à 19h00

Première unité féminine dans l’histoire de l’armée française, le Corps des Volontaires Françaises (CVF), créé à Londres en 1940, est exceptionnel à maints égards. Par sa composition : plus de six cents femmes qui, comme les pionniers de la France libre, font le pari d’une aventure périlleuse. Par son caractère novateur, puisque le CVF autorise la première expérience féminine de vie en caserne et de soumission à une hiérarchie militaire. Comment ces pionnières ont-elles rejoint Londres, quelles raisons fondent leur engagement, et quelles missions leur furent confiées ? En prenant appui sur des trajectoires individuelles emblématiques et bien documentées, fort de sa connaissance intime de ce conflit, Sébastien Albertelli retrace cette expérience collective singulière et, jusque là, largement méconnue.

Sébastien Albertelli, Elles ont suivi De Gaulle. Histoire du Corps des Volontaires françaises (Perrin-Ministère des Armées, 2020) Sébastien Albertelli est spécialiste de l’histoire de la France libre, de la Résistance et des services secrets. La thèse qu’il a consacrée aux services secrets de la France libre a fait l’objet d’une publication remarquée – Les services secrets du général de Gaulle : le BCRA (1940-1944) – récemment rééditée (Tempus, 2020). Coutumier de la participation à des ouvrages de référence – contributions au Dictionnaire historique de la Résistance (Robert Laffont, 2006), au Dictionnaire De Gaulle (Robert Laffont, 2006) –, il a récemment co-écrit, avec Julien Blanc et Laurent Douzou, un ouvrage qui éclaire le monde souterrain de la Résistance (La lutte clandestine en France. Une histoire de la Résistance 1940-1944, Seuil, 2019). Avec Elles ont suivi De Gaulle. Histoire du Corps des Volontaires françaises (Perrin-Ministère des Armées, 2020), il dresse le portrait d’une organisation longtemps méconnue et des femmes qui s’y sont engagées. Pouvez-vous en premier lieu présenter à grands traits l’objet de votre ouvrage : qu’est-ce que le Corps des Volontaires françaises (CVF) ? Le Corps des Volontaires françaises est une unité militaire féminine créée au sein des Forces Françaises libres, à Londres, en octobre-novembre 1940. C’est donc une des composantes de ce que l’on appelle la Résistance extérieure, impulsée et dirigée par le général de Gaulle. Entre 1940 et 1945, 600 femmes environ se sont engagées dans cette unité en signant le même document que les engagés masculins. Cette unité présente des caractéristiques inédites. Pour la première fois, ces femmes bénéficient d’un statut militaire : elles ne sont plus seulement revêtues d’un uniforme, comme le sont des auxiliaires, mais se voient garantir des droits. Elles ne peuvent pas être renvoyées du jour au lendemain, elles touchent une solde, puis une pension. C’est la première fois que l’armée française se dote d’une unité spécifiquement féminine, encadrée et commandée par des femmes. C’est aussi la première fois que des femmes vivent en caserne. Certes, le bâtiment ressemble davantage à un hôtel particulier, mais la discipline qui y règne est bien une discipline militaire. A propos de l’engagement singulier de celles qui formèrent le Corps des Volontaires françaises, vous évoquez une « aventure qui, pendant des décennies, n’avait intéressé personne ». Comment expliquez-vous ce désintérêt quasi général et, a contrario, votre propre intérêt ? Est-ce affaire d’écriture de l’histoire ? de contexte et/ou d’époque ? de rencontres ? … Ce désintérêt tient à de multiples facteurs. D’abord, les historiens et les historiennes sont de leur temps et la question du rôle des femmes – a fortiori dans l’armée, un univers considéré comme spécifiquement masculin – ne suscitait pas un intérêt particulier dans la société, notamment en France. L’intérêt s’est plus volontiers porté – mais là aussi assez récemment – sur la place des femmes dans la Résistance intérieure. Par ailleurs, les travaux consacrés à la France libre ont longtemps privilégié une histoire politique et une histoire des combats, deux domaines dans lesquels les femmes ne jouaient pratiquement aucun rôle, notamment aucun rôle décisionnaire. S’ajoute à ces raisons le fait que les femmes ont laissé moins de traces dans les archives, et des traces plus dispersées que les hommes. On a longtemps cru que la rareté de ces traces ne permettrait pas d’écrire leur histoire. En réalité, ces traces se révèlent bien plus riches qu’on ne l’a cru. Il faut ajouter que les femmes elles-mêmes ne se sont pas mises en avant. Il a souvent fallu attendre que celles qui s’étaient engagées dans leur jeunesse prennent leur retraite pour qu’elles tentent de renouer les fils et de faire connaitre leur histoire. Ma propre curiosité tient sans doute à un contexte général, depuis quelques années, dans lequel la place des femmes suscite un intérêt croissant. Elle tient aussi au fait que j’ai beaucoup travaillé en Angleterre, où l’activité des femmes, notamment au sein du Special Operations Executive (SOE), fait l’objet d’une véritable frénésie éditoriale, qui n’est d’ailleurs pas toujours gage de travaux de qualité. Mais ma curiosité a surtout été aiguisée par la rencontre de deux femmes qui s’étaient engagées très jeunes en 1940 et 1941 et qui sont devenues des amies : Tereska Torrès (Szwarc à Londres) et Paulette Levalleur (Steudler à Londres). Chacune dans un style bien à elle, elles m’ont fait découvrir leur parcours et m’ont donné envie de comprendre quelle place ce parcours occupait dans une aventure collective. Revenons à l’aventure. Les conditions du ralliement depuis la France ou l’Empire, les trajectoires empruntées, la situation des volontaires au moment de leur engagement, font du CVF une mosaïque. Pouvez-vous dresser à grands traits un tableau de ces disparités ? Surtout, la diversité suffit-elle à faire obstacle à la construction d’un esprit de corps ? Le CVF est effectivement une mosaïque à tout point de vue. La diversité est particulièrement nette, comme pour les hommes, si l’on s’intéresse à l’origine géographique des volontaires et au parcours qui les a conduites jusqu’à Londres. Certaines étaient déjà en Angleterre avant la guerre, d’autres s’y sont réfugiées au moment de l’effondrement de la France, d’autres ont réussi à s’enfuir de France au cours des années suivantes – parfois au péril de leur vie –, d’autres encore se sont engagées depuis l’empire colonial ou depuis l’étranger. Il y a aussi une diversité dans les âges même si une moitié d’entre elles environ a entre 20 et 30 ans. L’aspect le plus original tient à la diversité socio-culturelle. Contrairement aux hommes engagés dans les FFL, dont Jean-François Muracciole a montré qu’ils étaient massivement issus des catégories privilégiées de la société, les femmes ont des profils extrêmement divers. Des femmes issues de milieux populaires en côtoient d’autres issues de la bourgeoisie, ce qui ne manque pas, parfois, de provoquer quelques frictions. Cette diversité peut constituer un frein à l’émergence d’un esprit de corps. Mais le principal obstacle à cette émergence est que les volontaires du CVF, sitôt leur entrainement terminé, sont dispersées dans divers états-majors et services, voire sur divers théâtres (Afrique du Nord, Italie, États-Unis, etc.). A aucun moment, elles ne sont rassemblées pour une tâche commune, hormis à la caserne, que la plupart prennent rapidement en grippe. Pour nombre d’entre elles, les volontaires expliquent leur engagement par la volonté de « faire quelque chose ». Que sait-on des raisons qui poussent des femmes à gagner Londres, répondant ainsi à un appel qui ne leur est pas destiné ? Comment cette mobilisation spontanée est-elle accueillie ? Il est souvent difficile de percer les raisons de l’engagement, pour les femmes comme pour les hommes, et c’est plus difficile encore pour celles qui n’ont pas recours à l’écrit. La plupart des Volontaires font réellement acte de volontariat, mais il y a des exceptions, certaines étant plus ou moins contraintes de s’engager pour échapper à un sort jugé plus désagréable. Pour celles qui se portent réellement volontaires, les textes écrits pendant la guerre mettent en lumière la force du patriotisme. Des femmes comme Tereska Szwarc, Raymonde Jore ou Jeanne Bridault ont des mots très forts à ce sujet. Pour beaucoup de ces femmes, l’engagement est une affaire familiale : entre sœurs ou entre mère et fille(s) au sein du CVF, et plus généralement entre père et fille(s), frère(s) et sœur(s), mari et épouse au sein des FFL ou des armées alliées. Il y a par ailleurs chez certaines de ces femmes, comme Ève Curie, la fille cadette de Marie et Pierre Curie, véritable star de l’époque, la volonté en s’engageant dans l’armée de se fondre dans un collectif. Les obstacles qui entourent le recrutement des femmes trouvent un prolongement dans les tâches qui leur sont confiées. Quelles sont celles qui sont néanmoins parvenues à combattre ? Comment ? et avec quels risque encourus ? Beaucoup de Volontaires ne demandent pas à combattre. Le plus souvent, les autres demandent moins à combattre qu’à partager les risques des combattants en les accompagnant au plus près des combats. Certaines obtinrent gain de cause en participant aux campagnes d’Italie ou de Normandie. Plusieurs furent gravement blessées au cours de ces campagnes. Mais un certain nombre de Volontaires aspiraient bel et bien à combattre. Quelques dizaines virent dans l’action clandestine en France, c’est-à-dire dans le combat irrégulier, la possibilité de contourner l’interdiction qui leur était faite de participer aux combats. Les services secrets gaullistes refusèrent de s’engager dans cette voie jusqu’en 1942, mais ils durent se résoudre à utiliser toutes les bonnes volontés à partir de 1943. Les besoins étaient alors trop importants et les candidats masculins trop rares pour que le BCRA se permette de négliger de potentielles recrues. Quelques dizaines de Volontaires furent ainsi retenues et entrainées et une dizaine partirent effectivement en mission clandestine, le plus souvent comme opératrices radio. Jeanne Bohec, qui servit comme instructrice de sabotage, une spécialité jugée éminemment masculine, fut une exception. Danielle Reddé, engagée dans la Résistance intérieure, puis évadée par l’Espagne, se porta volontaire pour retourner en France : elle fut parachutée en France en février 1944 puis de nouveau – ce fut la seule femme dans ce cas – en Indochine occupée par les Japonais en 1945. Plus généralement, l’aventure du CVF éclaire le rapport entre les femmes et l’armée. C’est l’un des fils qui traverse la trame chronologique conférée à votre propos. En quoi la création du CVF rompt-elle avec le refus de doter les femmes d’un statut militaire et pour quels lendemains ? Pour la première fois dans l’histoire de l’armée, des femmes se voient conférer un véritable statut militaire au sein des FFL. Il n’est pas certain qu’on ait eu pleinement et immédiatement conscience, à Londres, de l’importance de cette innovation. Les effectifs étaient extrêmement réduits (100 Volontaires début 1941). Mais le recrutement était difficile : les candidates disposées à se plier aux contraintes militaires étaient rares et il était nécessaire de leur offrir un certain nombre de garanties pour les convaincre de franchir le pas. Simonne Mathieu et Hélène Terré, qui dirigèrent le CVF, jouèrent un rôle essentiel dans la mise en place et la préservation de ce statut. En 1943, quand le général de Gaulle s’installa à Alger, les Français libres découvrirent que les autorités locales, passées sous l’autorité de l’amiral Darlan puis du général Giraud, avaient, elles aussi, pris conscience de l’importance du vivier de recrutement que constituaient les femmes et avaient commencé à en recruter massivement à partir de novembre 1942. Mais ce recrutement se fit sur les bases qui existaient avant la guerre : les recrues étaient des auxiliaires, revêtues certes d’un uniforme, mais ne disposant d’aucun statut militaire. En somme, au moment de la fusion entre le CVF et les unités féminines constituées en Afrique du Nord, la question qui se posa était de savoir si l’expérience du CVF serait une parenthèse que l’on devait refermer pour revenir à la situation d’avant-guerre ou si au contraire l’ensemble des femmes recrutées par l’armée devaient désormais bénéficier des avancées enregistrées par les Volontaires du CVF. Hélène Terré dut se battre pendant des mois, mais elle finit par obtenir gain de cause : toutes les femmes engagées dans l’armée bénéficièrent à partir du printemps 1944 d’un statut militaire. Ces avancées furent toutefois remises en cause après la Libération et il fallut attendre 1951 pour qu’elles soient définitivement entérinées, malgré certains reculs, notamment sur la possibilité pour les femmes de devenir officiers. Enfin, votre ouvrage livre une histoire collective écrite en prenant en compte les destinées individuelles. Le sentiment de « liberté totale » que Tereska Szwarc dit éprouver à Londres est-il exemplaire du ressenti de ses consœurs ? Autrement dit, peut-on considérer l’aventure des volontaires comme le cadre d’une émancipation ? Cet ouvrage n’est effectivement pas un mémorial, dans lequel le parcours de chaque Volontaire serait retracé. Beaucoup de femmes n’ont laissé aucune trace. Il s’agit donc de retracer une aventure collective en s’appuyant sur des parcours individuels mieux documentés que d’autres ou sur des éléments de parcours mieux documentés que d’autres. De ce point de vue, le cas de Tereska Szwarc est tout à fait exceptionnel puisque cette jeune Volontaire tenait à Londres un journal intime qui a depuis été publié et qui nous renseigne sur les évolutions de son état d’esprit et de ses aspirations. Un tel document est particulièrement rare et précieux. On peut néanmoins mesurer combien le CVF fut synonyme d’émancipation. D’abord parce que beaucoup de Volontaires entraient à peine dans l’âge adulte : pour elles, les années de guerre, les années passées dans l’armée, constituèrent un véritable parcours initiatique, une entrée dans la vie dans des conditions exceptionnelles. Mais les Volontaires du CVF – à la différence par exemple d’une femme comme Éliane Brault, arrivée à Londres en 1941 – étaient dans l’ensemble peu revendicatives. On mesure toutefois une évolution, dont Hélène Terré est une parfaite illustration. Au début de la guerre les Volontaires s’appliquèrent à rassurer les hommes qui pouvaient se sentir menacés par l’entrée des femmes dans l’armée en les assurant qu’elles retourneraient à leurs tâches traditionnelles sitôt la guerre terminée. Hélène Terré le proclamait encore en 1943. Pourtant, avec la Libération, la commandante du CVF changea de discours et lutta pied à pied pour que les femmes qui avaient servi dans l’armée pendant la guerre puissent continuer à le faire en temps de paix. En somme, il n’était plus possible de revenir à la répartition traditionnelle des rôles telle qu’elle prévalait avant la guerre. Novembre 2020

Questions à... Sébastien Albertelli

En présence de

Sébastien Albertelli

historien, spécialiste de l’histoire de la Résistance

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