Croire, c'est admettre que l'impossible devient possible par Maurice Godelier
L'auditorium du Palais des Beaux-Arts juste avant la conférence de Maurice
Godelier
18h50, auditorium du Palais des Beaux-Arts. On compte
le peu de places encore disponibles, on s’excuse pour se faufiler entre deux
personnes. Vieux, jeunes, profs, étudiants, retraités, tout le monde se
retrouve à Citéphilo. Ce soir, Maurice Godelier nous parle de croyance, de réel
et d’irréel. « Vous comprenez ? réitère-t-il très régulièrement, c’est
fondamental. »
L’anthropologue s’adresse à nous comme à des amis,
soucieux de rendre ses propos accessibles à tous. Un exercice de vulgarisation
de la philosophie qui nous plonge dans une ambiance chaleureuse propice aux
éclats de rire, et nous vivons deux heures passionnantes en sa compagnie. Parce
que c’est ça, Citéphilo.
Léa Ilardo, 10.10.2017
« Croire c'est admettre que l'impossible
devient possible », invité Maurice Godelier, le 10/11/2017
« A mes 7 ans, ma mère me
disait 'Maintenant tu es trop grand pour croire au père Noël, va te
coucher et n'oublie pas de faire ta prière avant de dormir' ». Éclats de
rire dans l'audience. Pendant une heure trente, Maurice Godelier illustre ses
propos de façon inédite. Et si ses paroles sont empruntes d'humour, il les fait
également entrer en écho détonant avec l'actualité. Il faut dire que cet
anthropologue émérite, ancien maître-assistant de Claude Lévi-Strauss et
récompensé de la Médaille d'or du CNRS pour l'ensemble de son œuvre, a réalisé
de considérables études de terrain, notamment chez les Baruyas de
Papouasie-Nouvelle-Guinée. Une expérience qui lui permet de porter un regard
acéré aussi bien sur des thématiques transversales des sciences humaines, que
sur nos sociétés modernes. Et surtout, il parvient à faire dialoguer les deux
entre elles, et à révéler les unes par rapport aux autres.
Ce
soir, il tonne que la Religion doit absolument être séparée du Politique.
C'est
néanmoins une autre question qui apparaît comme le réel fil conducteur de cette
conférence : le lien entre l'élaboration de croyances et la question de la
naissance de l'être humain. C'est sur cette ouverture que l'invité débute cette
séance inaugurale du festival et oriente par la suite son propos. Les
croyances, par l'action de l'imagination, sont indissociables de la recherche
existentielle de l'être dans son élaboration de lui-même et de son rapport au
monde. C'est ce qu'une étude du système de parenté de 182 sociétés a révélé à
l'auteur de L'imaginé, l'Imaginaire et le Symbolique. La logique humaine
est structurée en deux grands
« univers » : celui du réel et du possible, et celui de
l'impossible et du spéculatif. Et la puissance de cette conscience qui se parle
à elle-même, repose en la capacité de l'individu à être ancré dans le présent
tout en pouvant conceptualiser des faits concrètement irréalisables.
L'imagination permet donc de rendre l'impossible possible.
Maurice
Godelier explique que l'Art, la Religion sont ainsi des univers créés par
l'homme qui lui sont indispensables et qui lui permettent de créer
matériellement ces irréalités. En s'émancipant en cela de la notion de
« symbolique » de la pensée lacanienne, il estime que, dans le cas
des Religions, ce domaine de l'irréel deviendrait plus réel que le réel, car
l'homme y rattache le sens de son existence. La Religion entend pouvoir
apporter une réponse globale à toutes les questions existentielles de l'homme.
Godelier
affirme ainsi que l’éradication des religions est par conséquent
fondamentalement impossible et à ne pas souhaiter. Néanmoins, il appelle à une
séparation catégorique du religieux et du politique.
La
conclusion de Maurice Godelier appelle finalement à une plus grande
reconnaissance du travail des anthropologues. Et cette conférence
d'inauguration lui donne raison. Le prisme pertinent qu'offre l'ethnologie sur
les maux de nos sociétés modernes n'est effectivement plus à remettre en doute
au regard de la vision seyante de l'actualité qu'offre l'analyse du chercheur
sur ces thématiques.
Jade BRIEND-GUY