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Le livre de la faim et de la soif par Camille de Toledo

Spectateurs, auditeurs, curieux du festival Citéphilo, vous vous déplacez depuis vingt ans aux conférences ; des événements qui répondent toujours au même référentiel : une heure de conversation en ping-pong entre l’auteur et le présentateur, puis une heure d’échanges ordonnés avec l’invité. Les dissidents essaieront de gratter quelques minutes avec l’auteur après le temps imparti, achèteront peut-être le livre présenté, continueront le sujet de la conférence sur le chemin du retour. Et si cette routine devait être bousculée ? Vendredi 17 novembre à la médiathèque Jean Levy, Camille de Toledo nous a fait sortir de ce référentiel ; et ce n’est pas un hasard, puisque c’est l’essence de son roman Le livre de faim et de la soif, bousculer les habitudes de lecture, mettre au défi le référentiel du récit.

Les premières pages du Livre de la faim et de la soif sont déconcertantes. Un Livre qui est à la fois l’objet et le personnage principal du roman ; un Livre qui souhaite se réengager dans le monde, faire corps avec le monde, se libérer des barrières du langage. Un livre qui enchaine les récits inachevés, qui tente de fuir ses pages. Un Livre sans cadre spatio-temporel, au narrateur chancelant, subordonné au personnage principal. Camille de Toledo a écrit un récit dans la tradition du roman picaresque, sans début, ni fin : « Dans une époque qui veut toujours en finir, je propose un livre qui ne finit pas. »

Lors de la conférence nous avons très peu parlé du roman, nous avons vécu le roman. Camille de Toledo est la psyché de son roman. Il est le Livre triomphant, ambitieux, érudit qui saute d’une histoire à une autre. Il nous frustre, nous captive. Esther Abin, philosophe et enseignante-chercheuse, interroge l’auteur sur le titre du roman, il répond furtivement, puis bascule sur la limite du langage et un succès de librairie La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben. Nous revenons sur son roman. Il nous lit le récit de la Malédiction du Bouche Bée, le bruit de l’écoulement de l’eau sur le toit de la bibliothèque le trouble, il reprend sa lecture. L’auteur nous raconte une anecdote amusante sur ses étudiants allemands, discute de la Foire du Livre de Frankfort, puis le bruit de l’eau, encore : « On pourrait ne parler que de ça (rires) ». Dans l’audience, nous sommes le maître qui se languit du récit de son valet Jacques le Fataliste ; nous sommes Don Quichotte qui prête l’oreille aux histoires des passants ; nous sommes le narrateur dactylographe qui essaie vainement de rattraper le Livre. Camille de Toledo s’en amuse : « J’ai une pensée en onglets, vous savez, comme les ordinateurs. »

Par Juliette Conti.