Publié le

Histoire mondiale de la France : Boucheron, Venayre, Singaravélou et Deluermoz

Bousculer l'Histoire en la remettant à sa place

 

            L'auditorium
des Beaux-Arts était comble ce lundi soir pour assister à la conférence de
Patrick Boucheron et de trois de ses collègues, Quentin Deluermoz, Pierre
Singaravélou, Sylvain Venayre. L'ambiance de camaraderie n'a pas empêché aux
quatre historiens de répondre aux polémiques concernant l'Histoire Mondiale de
la France.

 

            122 historiens, deux ans
de travail acharné, douze périodes de l'Histoire, 146 dates. L'Histoire
Mondiale de la France est dense, compacte. Il désarçonne au premier abord, les
dates sont pour la plupart décalées, elles ne sont pas celles que l'on a
l'habitude de voir dans un livre d'Histoire. À 732 et la bataille de Poitiers,
on a préféré 711 et le butin de Ruscino, à 1917 et l'entrée des Etats-Unis dans
la Guerre Mondiale, la révolte kanak de 1917. Le récit n'est pas linéaire,
chaque auteur impose son style, et plutôt qu'un récit, les 146 dates sont
autant d'histoires brèves mais dont l'historicité ne peut être remise en cause.

 “ Plutôt que des dates ancrées dans
l'imaginaire collectif mais à la véracité non avérée, on a préféré des dates
dont l'historicité ne pouvait être remise en cause” explique  P. Boucheron.

La polémique qui entoure l'œuvre intrigue, attire aussi. Lors de sa parution,
en janvier 2017, deux ans après les attentats de Charlie, la sphère publique
s'était déchirée sur l'ouvrage dirigé par Patrick Boucheron, d'une manière
inédite pour un ouvrage historique. Loin de suivre le roman national, comme le
démontre l'absence de certaines dates, le livre définit la France comme une
partie du monde, en proie à des flux extérieurs, des influences extérieures. “
Michelet avait écrit son Histoire de France tout seul, dans son coin. En
évitant de citer les puissants des autres époques et en ne parlant que de
lui-même, il espérait rendre la  parole
au peuple français. Cependant, en faisant cela, il a contribué à mettre en
place un roman national dont l'historicité laisse à désirer”, démontre Sylvain
Venayre. Sur le but de l'ouvrage, l'historien explique que l'objectif n'était
pas de créer une contre histoire nationale, mais de questionner, d'illuminer
les dates qui sont ancrées chez les Français sous le soleil du regard critique.

Pourtant, si la polémique est intense, l'Histoire française a du retard au
niveau international.  L'Histoire
Mondiale de la France arrive tard, les Etats-Unis, la Suisse, l'Allemagne avait
déjà fait leurs Histoires transnationales. Cependant, quatre spécificités en
font une œuvre mondialement unique lors de sa parution: son titre annonce la
couleur au premier coup d'œil, elle est directement en prise avec le contexte
politique, celui des élections, c'est un ouvrage collectif qui se répond, qui
articule les dates entre elles, et surtout, qui a pris dans le débat public
pour questionner notre manière de voir notre Histoire. Ces spécificités ont eu
un retentissement mondial, à tel point que l'Italie, les Pays-Bas et la Suisse
vont, ou ont publié leurs propres Histoires Mondiales.

Sur la méthode, les historiens précisent qu’ils auraient pu être bien plus
provocateurs: commencer les origines par l’archéologie antillaise, mettre les
dates dans un désordre aléatoire et spécifique pour chaque exemplaire… bridés
par leur éditrice et par leur bon-sens, ils ont préféré être plus sages.

Les participants de Citéphilo ont eu la chance d’assister à une conférence
avec des historiens défendant sans relâche une historicité absolue, sérieux
mais joueurs, précis mais pas ennuyeux, passionnés et passionnants.