Foucault, Bourdieu et la question néolibérale par Christian Laval
Christian Laval propose une étude comparée de Foucault et
 Bourdieu deux intellectuels ayant le même mentor, Georges Canguilhem, tous deux
 contemporains de la vague néolibérale des années 80, mais qui à travers deux
 démarches intellectuelles antagonistes (ils ne se citent jamais), s'interrogent
 sur le caractère nouveau de la pensée libérale.
            
            
            Le
 néolibéralisme : plus qu'une réaffirmation du libéralisme : une
 refondation
            L'objectif
 du libéralisme, c'est l'établissement d'une société garantissant à l'individu
 la capacité d'assouvir ses intérêts propres. Pour cela, le XIX ème siècle a
 choisi la voie de « l'autorégulation du marché » dont la Grande
 Dépression des années30 a dévoilé les failles. Le libéralisme s'est alors
 refondé, sous l'impulsion d'auteurs comme Raymond Barre pour qui la fonction de
 l’État se réduit au maintien d'un cadre normatif permettant la
 concurrence : c'est l'ordo-libéralisme.
            La
 concurrence : un dogme que l'on retrouve dans tous les espaces de la
 société
            Pour Michel
 Foucault, la « spécificité néolibérale », c'est ce cadre juridique,
 fruit d'une intervention gouvernementale : le marché n'est plus considéré
 comme étant à l'origine des sociétés, il est issu d'un processus. Autre
 nouveauté, ce cadre a pour répondant un « sujet qui se vit comme une
 entreprise », c'est à dire que l'individu ne subit pas la norme, il s'y
 intègre et s'en fait le relais (les indicateurs comparatifs nous amènent à nous
 « penser en concurrence » au quotidien).
            L'auteur
 précise que Foucault, loin de se rallier au néolibéralisme, essaye d'expliquer
 en quoi  les « pratiques de liberté » participent d'une nouvelle
 forme de gouvernance. Celle-ci reposerait sur l'articulation d'espaces qui
 « enferment », où la norme s'impose (l'école) avec un espace de
 liberté, où l'individu, bien que libre, se régule lui-même, ayant intériorisé
 la norme de la concurrence. Ainsi pour lui le néolibéralisme est une réponse à
 une crise politique amorcée dans les années 60 en plus d'être une réponse à la
 crise économique de 1973.
            L'avènement
 de la science économique comme autorité intellectuelle
            Pierre
 Bourdieu propose quant à lui une analyse scientifique du néolibéralisme comme
 produit d'un rapport de force au sein du champ intellectuel. Le néolibéralisme
 s'est imposé grâce à la haute fonction publique, la « main droite de
 l’État » convertie aux idéaux du marché. Le champ intellectuel a été
 pénétré par la science économique (notamment par l'école de Chicago) qui s'est
 progressivement substituée au droit public, et à la philosophie politique, les
 disciplines traditionnelles de la « science de l’État ». « La
 main gauche de l’État » (les agents des ministères
 « dépensiers ») résiste à cette érection de la science économique
 comme autorité, faisant de l’État un champ de lutte au résultat indéterminé.
            Si Bourdieu
 s'engage publiquement dans les grèves de 1995 (ce qui lui a valu la critique
 d'avoir troqué sa position de scientifique objectif contre celle du militant
 politique) c'est, selon Christian Laval, par ce qu'il a compris que le
 « nomos économique tendait à pénétrer tous les champs de la société »,
 ce qui conduirait à terme à une inhibition de la création artistique et à terme
 de toute pensée intellectuelle, au nom de la « logique de marché ».

